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règle de sa conduite : les autres gouvernement avaient le droit, et ils ne s’en faisaient pas faute, de professer pour les intérêts anglais la suprême indifférence qu’on témoignait pour les leurs.

A mesure que l’isolement et l’impuissance de l’Angleterre devenaient plus manifestes, la Russie s’enhardissait à poursuivre plus ouvertement ses avantages. Elle fit refuser par le sultan l’autorisation demandée par la flotte anglaise de franchir les Dardanelles, et, lorsque l’amiral Hornby eut pénétré dans la mer de Marmara, elle se prétendit déliée, par ce fait, de l’engagement qu’elle avait pris de ne pas occuper Constantinople. Pour prévenir l’entrée des troupes russes dans la capitale turque, il a fallu que la flotte anglaise allât mouiller sur la côte de l’Asie-Mineure. Quelques semaines plus tôt, la même démarche de la part de l’Angleterre aurait suffi pour arrêter les Russes à Andrinople. Il avait été compris que la signature des préliminaires de paix serait suivie d’un armistice d’une durée indéfinie : le traité de paix définitif aurait été rédigé au sein et avec le concours d’une conférence européenne. La perspective d’une révision et d’un adoucissement possible sous l’influence de l’Europe avait fait passer plus facilement sur l’extrême rigueur des préliminaires de paix. Il paraîtrait aujourd’hui, bien qu’on ait peine à accepter de pareilles nouvelles, que les derniers jours de février seraient le terme fatal de l’armistice, et que la date du 1er mars aurait été imposée à la Turquie comme dernier délai pour la signature du traité de paix définitif. Ce traité définitif ferait déjà depuis quelque temps l’objet d’une négociation directe au sujet de laquelle aucune communication n’a été faite à l’Europe. La conférence européenne, dont la réunion est annoncée pour le 10 mars, aurait seulement à réviser le traité de Paris pour le mettre d’accord avec le nouveau traité qui, d’acte particulier entre la Turquie et la Russie, serait transformé en un acte européen. La tâche de la conférence serait donc une sorte d’entérinement, ayant surtout pour objet de faire consacrer par l’Europe les sacrifices de toute nature arrachés à la Turquie. Telle serait l’interprétation audacieuse que le gouvernement russe donnerait aujourd’hui à l’engagement contracté par lui de soumettre à la sanction de l’Europe toute dérogation aux stipulations d’intérêt général antérieures à la guerre.

Il n’est point surprenant que de pareilles prétentions, dont les conséquences se laissent facilement apercevoir, aient causé une vive émotion à Vienne et à Londres. On a lieu de penser que les conditions dictées par la Russie dans le traité définitif dépassent en étendue et en rigueur les préliminaires qui sont seuls connus de l’Europe, et qui ont suffi pour exciter de légitimes inquiétudes. En effet, si la Roumanie et la Serbie deviennent des états souverains