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la Baltique, c’est-à-dire de faire reconnaître par l’Europe aux quatre états riverains de cette mer le droit exclusif d’y entretenir et d’y faire entrer des bâtimens de guerre.

Que ce nouveau principe vînt à prévaloir, et, en cas de conflit avec une puissance maritime, la Prusse n’aurait plus à protéger que ses côtes de la Mer du Nord. Plus favorisée encore, la Russie n’aurait plus rien à craindre ni dans la Baltique ni dans la Mer-Noire ; elle pourrait défier tous les efforts de l’Angleterre, dont les neutres auraient à arrêter les escadres. Par une extension du même principe, il suffirait d’une entente entre les puissances méridionales pour exclure la marine anglaise du bassin de la Méditerranée. Il est facile de prévoir que l’Angleterre combattra de toutes ses forces la proposition d’ouvrir les détroits aux flottes de la Russie ; mais alors par quels argumens appuiera-t-elle la demande que le canal de Suez demeure constamment, en temps de guerre comme en temps de paix, ouvert à ses flottes ? A quel titre se réservera-t-elle un libre passage de la Mer-Rouge dans la Méditerranée, en refusant à la Russie un libre passage de la Mer-Noire dans cette même Méditerranée ? Le canal de Suez, œuvre de la main des hommes, a-t-il un caractère plus inviolable et plus sacré que les voies navigables naturelles, créées par Dieu lui-même pour faciliter les relations des nations, et, si la Turquie peut être astreinte à remplir certains devoirs de neutralité à Constantinople et à Gallipoli, pourquoi en serait-elle affranchie à Suez et à Port-Saïd ? Tel est le dilemme qui attend l’Angleterre, soit à la conférence, soit au congrès, lorsque la question des détroits y sera soulevée.

Nous venons d’effleurer les questions capitales ; il serait téméraire de raisonner sur les autres conditions probables du traité de paix avant que le texte en soit connu, et l’attente ne saurait plus être longue. Ces conditions, quelles qu’elles soient, devront être subies par la Turquie et agréées par l’Angleterre. La future conférence, si elle se réunit, y pourra tout au plus faire apporter quelques atténuations de forme : quant à la convocation d’un congrès, elle paraît de plus en plus improbable, car ni la Russie ni la Prusse ne doivent désirer la réunion d’une assemblée sans mission strictement délimitée, et au sein de laquelle des questions importunes pourraient être soulevées. Quel appui le cabinet anglais peut-il espérer de la conférence, après le langage que M. de Bismarck vient de faire entendre au sein du parlement allemand, et qui vise clairement l’Autriche et surtout l’Angleterre ? Le cabinet de Londres n’a jamais parlé que des intérêts anglais ; le chancelier proclame l’intérêt allemand la règle exclusive de la politique germanique. Il décline, il écarte avec dédain le rôle de médiateur, de gardien des intérêts généraux, de gendarme de l’équilibre européen, il