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après trois jours de conclave, sans incident sérieux, sans contestation aucune, en dehors de toute pression extérieure, politique ou diplomatique, un nouveau pape a été élu : c’est le cardinal Pecci, que Pie IX, dans les derniers temps de sa vie, avait nommé camerlingue, et qui a pris le nom de Léon XIII en ceignant la tiare.

Le nouveau pape Gioachino Pecci a soixante-huit ans ; c’est un des plus anciens cardinaux du sacré-collège. Il a été toujours employé activement soit comme légat dans les provinces pontificales, au temps où le saint-siège avait des provinces, soit dans la diplomatie du Vatican. Il a été, il y a déjà bien des années, nonce à Bruxelles, où il a laissé les meilleurs souvenirs et où il avait gagné la confiance personnelle du roi Léopold Ier. Il était depuis longtemps archevêque de Pérouse, et c’est il y a quelques mois seulement qu’il a remplacé le cardinal de Angelis comme camerlingue de l’église romaine. C’est un homme d’une gravité séduisante, d’un esprit cultivé, d’une assez grande fermeté de caractère, et il est vraisemblable que la modération de ses opinions a contribué à faire de lui le candidat préféré du conclave. C’est un choix tout politique, ne fût-ce que parce qu’il exclut d’autres choix qui auraient pu avoir une signification plus embarrassante dans les circonstances où se trouve la papauté. Sans doute c’est une pensée modérée qui semble avoir décidément inspiré la dernière élection, et l’avènement du nouveau pape s’accomplit dans les conditions les plus favorables. Par lui-même, Léon XIII n’a jamais passé jusqu’ici pour un de ces prélats résolus aux guerres à outrance, toujours prêts à déployer des passions de combat. Dans sa position d’archevêque de Pérouse, de dignitaire supérieur de l’église, il n’a mis aucune affectation d’attitude ; il n’est pas de ceux qui créent, qui appellent les conflits, et dans les rapports que durant ces dernières semaines il a eu l’occasion d’avoir comme camerlingue avec le gouvernement italien à l’occasion du conclave, il a évité tout ce qui aurait pu aggraver les difficultés ou provoquer des froissemens. Ses premiers actes ont été pleins de réserve. Il n’est pas sorti officiellement du Vatican, il a peut-être fait quelque course dans Rome, et en paraissant à Saint-Pierre il a montré qu’il ne voulait pas être un captif tout à fait invisible. Il s’est abstenu de toute manifestation, de tout acte d’impatience, de tout ce qui aurait pu être par trop décisif et irréparable. Ce qui est vrai, en un mot, c’est que, moins engagé politiquement que Pie IX, moins lié par ses précédons que bien d’autres cardinaux, assez éclairé pour tenir compte des circonstances, Léon XIII reste jusqu’ici un de ces papes avec qui bien des choses sont possibles. Il ne faudrait cependant pas se hâter de voir dans ce changement de règne accompli avec simplicité, presque sans bruit, le commencement d’une révolution dans les rapports de la papauté et de l’Italie.