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fut point une petite affaire ; tous les documens administratifs étaient restés à Paris, et l’on se trouvait singulièrement empêché, car nulle mémoire n’était assez précise pour pouvoir indiquer avec certitude ce que contenaient les arsenaux de Brest, de Cherbourg, de Lorient, de Rochefort et de Toulon. A force d’énergie, on suppléa à l’inconvénient créé par l’absence forcée des « états et des inventaires. » Je n’ai pu sans respect parcourir le registre des dépêches échangées à ce sujet entre le ministre de la marine et les cinq préfets maritimes ; l’activité intelligente de l’un, le dévoûment des autres sont admirables. Chaque matin, au petit conseil, le commandant Krantz pouvait dire à M. Thiers : « Nos arsenaux tiennent à votre disposition tant d’hommes, tant d’obusiers, tant de munitions, tant de plates-formes. — C’est bien, répondait M. Thiers, faites-les venir, arrangez-vous avec M. de Franqueville. » M. Krantz conférait alors avec M. de Franqueville, directeur-général des chemins de fer ; des instructions étaient expédiées aux différentes gares, et l’on faisait place aux trains sauveurs, lourdement chargés, qui nous apportaient la délivrance.

On était arrivé au 28 avril. L’armée française s’était singulièrement augmentée depuis un mois en recevant les prisonniers revenus d’Allemagne, mais l’armée des fédérés s’était aguerrie par une suite de combats ininterrompus, et la partie semblait demeurer encore égale. L’artillerie de notre marine allait détruire l’équilibre et faire à l’insurrection une blessure mortelle. L’emplacement choisi avec discernement pour établir la batterie était Montretout, dont le commandement fut confié (30 avril) au capitaine de vaisseau Ribourt, qui pendant la guerre avait, sous la haute direction du préfet maritime de Cherbourg, commandé les lignes de défense de la presqu’île du Cotentin[1]. Par suite de l’importance considérable de la batterie de Montretout, les batteries de Breteuil et du Mont-Valérien lui étaient en quelque sorte soumises et rentraient sous les ordres du commandant Ribourt.

On se hâta. Les travaux commencèrent sous la direction de M. Hertz, chef de bataillon du génie, avec une section de sapeurs et une escouade de 300 terrassiers. Le capitaine de frégate Riball fut appelé avec un détachement de marins, et la besogne ne chôma pas, car on eût dit que chacun comprenait l’importance

  1. Cette ligne de défense était réellement formidable ; couvrant l’arrondissement de Valognes, celui de Cherbourg, elle formait un vaste demi-cercle dont l’extrémité occidentale s’appuyait au havre de Port-Bail, et dont l’extrémité orientale, dépassant Carentan, venait toucher à Saint-Pellerin et affleurait presque la limite du département du Calvados. Trente-six batteries, construites selon les accidens favorables du terrain, étaient armées de deux cent quatorze pièces de gros calibre.