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héroïnes. Trois sinistres femelles animaient, enfiévraient les hommes, embrassaient les pointeurs et faisaient preuve d’une impudeur qui ne redoutait pas le grand jour. Jeunes, enivrées de bataille et d’eau-de-vie, elles apportaient au milieu de la tuerie un horrible élément de débauche. Elles tiraient des coups de fusil au hasard, riant, criant, tutoyant tout le monde, ignobles à voir, plus ignobles à entendre. L’une, Florence Vandewal, âgée de vingt-huit ans, forte et sanglée à la taille, avait été ambulancière au 107e bataillon fédéré que Bergeret lui-même avait autrefois commandé ; on l’appelait « la Belge. » C’était une simple journalière qui se pavanait dans un costume ridicule et sous une toque à plumes ; l’autre, Aurore Machu, brossière de vingt-sept ans, pointait les canons et après chaque détonation se retroussait impudiquement en se tournant vers les positions occupées par l’armée française. La troisième, Marie Ménan, qui venait d’atteindre sa vingt-sixième année, marchande de journaux, fille sombre, exaltée, vêtue de noir, passait, comme un spectre, au milieu des combattans et leur versait à boire. Un hasard m’avait fait connaître cette créature ; je n’ai jamais vu une laideur pareille à la sienne ; brune, l’œil écarquillé, les cheveux ternes et sales, le visage tout piolé de taches de rousseur, la lèvre mince et le rire bête, elle avait je ne sais quoi de sauvage et de violent qui rappelait l’effarement des oiseaux nocturnes subitement placés au soleil. Elle fut cruelle, naturellement, sans efforts, pour obéir à ses instincts. De ces trois goules, la Machu était la plus choyée. Comme elle venait d’envoyer un boulet de canon dans une des statues qui précèdent le palais du Corps législatif, on la prit, on l’enleva et on la porta en triomphe à l’Hôtel de Ville, où elle fut félicitée pour son patriotisme et son dévoûment à « la cause sacrée de la commune. »

Tout le jour le duel d’artillerie continua ; la nuit l’interrompit à peine. Beaucoup de fédérés étaient partis ; sous prétexte d’aller manger, de se rendre dans leur quartier, ils s’éloignaient, fatigués de la bataille, hésitans, trouvant que ça prenait mauvaise tournure, et ne revenaient pas. Dans la soirée, Brunel passa l’inspection de ses troupes, il constata qu’il en manquait les trois quarts, entra en fureur et écrivit à la délégation de la guerre pour avoir du renfort ; on lui répondit : « Au citoyen Brunel, chef de la 10e légion. Citoyen, il nous est impossible de vous donner les renforts que vous nous demandez ; nous avons disposé même des forces que nous avions à l’Hôtel de Ville. Du courage, du patriotisme, colonel ; il faut à tout prix que vous défendiez vos positions avec les troupes dont vous disposez. Salut et fraternité. Pour le délégué civil à la guerre, le sous-chef d’état-major : LEFEBVRE