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considéré l’éventualité, ne se trouvait-elle pas mieux préparée à la soutenir sur mer au siège même des hostilités et lorsqu’une flotte bien construite et nombreuse dans la Mer-Noire aurait pu être d’un si grand secours à l’armée de terre ? C’est que pendant longtemps le gouvernement de la Russie avait eu les mains liées par les traités. Celui du 30 mars 1856 obligeait la Russie à n’entretenir qu’une force maritime insignifiante dans la Mer-Noire. Elle y avait été réduite à une position telle qu’elle avait dû renoncer à y lancer des vaisseaux et à y maintenir des arsenaux. Nicolaïef avait été délaissé et Sébastopol restait en ruines. Cette situation ne changea qu’en 1871, et jusque-là, le temps fut perdu pour la création d’une flotte dans la Mer-Noire. Les désastres de la France fournirent au gouvernement de Saint-Pétersbourg l’occasion de prendre une autre attitude. A la suite de conférences provoquées par l’empereur Alexandre, et dont l’Angleterre s’était rendue complice avec un désintéressement inattendu, un nouveau traité fut signé, à Londres cette fois, le 13 mars 1871. Le gouvernement du 4 septembre sanctionna en congrès l’abrogation des clauses du traité de Paris relatives aux forces navales de la Russie. Le sultan, qui n’y avait nul avantage, ratifia cette décision par une convention spéciale. Dès ce moment, le gouvernement russe fut libre d’y construire autant de vaisseaux qu’il lui plairait d’en mettre en chantier. Aussitôt Nicolaïef reprit une grande activité. Cet arsenal, autrefois monté exclusivement pour la construction de bâtimens à voiles en bois, fut outillé pour les vaisseaux à vapeur en fer à cuirasse. Les ports de commerce furent réparés depuis Odessa jusqu’au fond de la Mer d’Azof[1]. Partout sur ces côtes on prépara les élémens d’une marine nouvelle. Mais la construction d’une flotte ne s’improvise pas. La Prusse y travaille depuis 1867 sans marchander l’argent et avec l’activité extrême qui est le propre de son gouvernement en matière de guerre, et pourtant elle n’a pas encore achevé son matériel flottant, qui ne doit être complet qu’en 1882, La Russie, en sept ans, n’aurait certainement pas pu faire ce que la Prusse doit mettre plus de quinze années à terminer. Au moins pouvait-elle hâter son œuvre ? Mais cet important travail fut plutôt retardé par un essai qu’il semble que l’Angleterre seule eût pu se permettre parce qu’elle est d’avance en possession d’une flotte prête à toutes éventualités soit sur les côtes, soit en haute mer. Au lieu de mettre sur cale en grande hâte des bâtimens de formes ordinaires et éprouvées, sanctionnées par l’expérience et adoptées par toutes les grandes marines, la Russie voulut se passer la fantaisie d’une nouveauté. Elle s’est emparée d’une idée originale qui consiste à créer des « bâtimens

  1. Voyez la Revue du 1er juin 1876.