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assez grossière, ou, si l’on veut, assez simple pour être maniée facilement par des marins sans instruction spéciale ; mais l’effet en est incertain et dépend en partie d’un hasard qui la mette en contact avec un bâtiment ennemi. Plusieurs marines ont adopté la torpille Harvey. Les États-Unis l’ont donnée aux bâtimens de guerre. L’Autriche l’a soumise aux expériences les plus sérieuses, preuve du prix que le gouvernement de Vienne y attache. La Hollande et l’Italie en font usage. La Russie préfère le lancement à bout d’espars. C’est plus sûr, mais bien dangereux pour les marins torpilleurs. Elle ne s’est pas servie d’un autre genre de mines marines dans ses attaques contre les cuirassés ottomans pendant la dernière guerre. Au demeurant, la torpille Whitehead et la torpille Harvey, qui rivalisent dans le champ de la destruction, se partagent, comme on voit, la faveur des gouvernemens. Récemment la Russie a montré une certaine préférence pour la torpille Whitehead, mais ce penchant est resté platonique, et il ne paraît pas qu’elle ait été l’objet de faveurs spéciales dans la dernière guerre, à l’exception de l’achat en Angleterre d’un certain nombre de ces mines sous-marines.

Le Duilio d’Italie est armé d’un appareil particulier pour l’envoi de la torpille Whitehead. On critique cette disposition. Des marins auraient préféré le bélier. Cette espèce de hache, qui s’enfonce dans un bâtiment et le coupe en deux, est considérée comme plus maniable et plus sûre que la torpille. Celle-ci a des organes compliqués. Le bélier, masse énorme, n’est pas exposé aux avaries. Au contraire mille incidens peuvent enrayer l’action de la torpille, la détourner de son but, et même la rendre très dangereuse à bord de l’embarcation qui la porte. Le Pierre-le-Grand, ce vaisseau russe dont l’armement a été décrit dans le cours de notre étude, suscite les mêmes observations. Il n’a pas d’éperon. La Russie, après avoir fait abus de cette arme, car elle en avait mis partout, l’a refusée au Pierre-le-Grand, un bâtiment obéissant et agile malgré ses proportions colossales. On l’a pourvu, au contraire, de deux torpilles placées à l’avant et portées sur des espars. Il est regrettable que ce grand et beau vaisseau, après des expériences satisfaisantes dans la Baltique, ait été rappelé à Cronstadt et n’ait pas paru dans la Méditerranée, car il eût peut-être fourni matière à des études comparatives sur l’emploi et l’efficacité de ces deux engins effroyables : l’éperon et la torpille, dont presque tous les coups sont mortels.

La guerre actuelle aura du moins servi à mettre les esprits d’accord sur l’espèce de torpille qu’il convient de placer à poste fixe dans les rivières et à l’entrée des ports pour en interdire l’accès. La Russie les a semées à profusion, et elles ont fort contribué à la