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IV

Dans la nuit du 14 mai 1877, deux monitors et un steamer turcs étaient mouillés devant Matchin dans le Danube ; la nuit était sombre, mais non tout à fait obscure, car la lune y répandait ses rayons, voilés par des nuages. On faisait assez bonne garde à bord, l’éveil avait été donné par des reconnaissances que les Russes avaient opérées le 13 mai afin de relever exactement la position de leur ennemi. Celui-ci avait même changé de mouillage et s’était éloigné de la rive occupée par l’armée russe. Cependant une flottille composée de quatre embarcations à vapeur avançait en évitant tout ce qui pouvait déceler sa présence. Elle se glissait le long du rivage avec de grandes précautions, car la brise eût porté aux monitors le moindre bruit causé par la vapeur ou par le sillage. La marche devait être lente, tant que le Turc ne l’aurait pas éventée ; mais au premier signal d’alarme la flottille avait ordre de se précipiter à toute vitesse sur le bâtiment le plus proche. Les quatre embarcations marchaient à la file ; leur petitesse, leur apparence inoffensive eussent laissé en pleine sécurité les sentinelles, qui ne se seraient pas doutées qu’elles pouvaient porter une arme mortelle. C’étaient en effet la mort et la destruction qui s’avançaient avec elles. En tête marchait le Cesarevitch, commandé par le lieutenant Dubasof, chef de l’expédition ; le Xenia suivait, monté par le lieutenant Chestakof. Venaient après le Djigit, conduit par un aspirant, et enfin la Cesarevna, sous les ordres d’un autre officier du même grade. Ils parvinrent, sans avoir été hélés, jusqu’à une cinquantaine de mètres du monitor qui se présentait le premier. À cette distance, la flottille fut aperçue ; le cri des factionnaires retentit, suivi presque aussitôt d’un coup de fusil. Les servans des pièces couchaient sur le pont ; ils furent debout en un instant et ouvrirent le feu. C’est alors que le commandant du Cesarevitch, se lançant à toute vapeur à l’arrière du monitor, le frappa du côté de bâbord avec l’espar où était fixée une torpille ; celle-ci éclata aussitôt et fit sauter, avec toute cette partie du bâtiment, un canon dont le tir était dangereux. Dès lors le but de l’expédition se trouvait atteint. Le bâtiment turc commençait à s’enfoncer par l’arrière. Un second coup de torpille, bravement porté jusque sous le monitor par le lieutenant Chestakof, précipita la perte du navire turc : il coula par l’arrière en soulevant des montagnes d’eau qui retombèrent sur le Cesarevitch et faillirent l’engloutir. Des débris de toute sorte, lancés en l’air par l’explosion à la hauteur de 40 mètres, tombaient en même temps sur les embarcations, et celles-ci avaient fort à faire de pomper l’eau qui les remplissait et d’éviter d’être écrasées par la chute des débris