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II.

Il y a parmi les œuvres de George Sand une sorte de drame fantastique intitulé la Lyre à sept cordes. Son talent n’était-il point aussi une lyre à sept cordes dont chacune rendait un son différent, mais qui toutes vibraient en même temps ? En m’efforçant, ainsi que je l’ai fait, d’introduire un peu de méthode dans la critique de l’œuvre de George Sand, je crains d’en avoir dérobé le véritable caractère, qui est la variété et l’exubérance. À côté de la femme passionnée que l’amour, la philosophie, la politique préoccupaient en même temps, il y avait une artiste sereine éprise du beau sous toutes ses formes, une arrière-petite-fille de Diotime, cette étrangère de Mantinée que Platon a introduite dans son banquet, non moins libre et non moins hardie dans son langage, mais non moins capable de s’écrier comme elle dans son enthousiasme : « Ô mon cher Socrate, la vie n’a de prix et de charme que par la contemplation de l’éternelle beauté ! » Lorsque Platon mettait dans la bouche d’une femme cet éloquent hommage, ne semblait-il pas reconnaître que ces organisations plus fines que les nôtres sont aussi plus propres à ressentir ce divin enthousiasme du beau lorsque, par un rare et heureux don du ciel, la force ne fait point défaut à leur imagination ? N’est-ce point en effet par l’imagination surtout que nous arrivons à comprendre le beau, et serions-nous capables de le saisir si cette seconde vue de l’esprit ne venait en aide à l’insuffisante perception de notre intelligence ? Or quelle femme a possédé une imagination et plus forte et plus fine à la fois que celle de George Sand ? Macaulay comparait le génie de Bacon à la tente que la fée Paribanou avait donnée au prince Ahmed : ployée, elle tiendrait dans la main d’une femme ; déployée, elle abrite des bataillons sous son ombre. Je comparerais l’imagination de George Sand à un instrument d’optique assez puissant pour permettre à l’œil d’apercevoir à la fois les mille nervures dont le microscope révèle l’existence dans la feuille d’un arbre, et les plus fines dentelures d’une montagne perdue dans les brouillards de l’horizon. Est-elle assise sur le versant des Alpes du Tyrol, il suffit qu’elle ferme les yeux pour se croire transportée en Amérique dans une de ces éternelles solitudes que l’homme n’a pu encore conquérir sur la nature sauvage ; elle entendra le boa dérouler ses anneaux sur les ronces desséchées et la voix des panthères errantes parmi les rochers. L’illusion sera si complète qu’en ouvrant les yeux elle dédaignera ces belles plaines de la Lombardie qui se déroulent sous ses pieds, cette mer Adriatique qui flotte comme un voile de brume