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L’avenir, réservait cependant à George Sand des leçons de musique plus hautes et plus pénétrantes que celles de sa grand’mère ou de son professeur M. Guyard. Sa longue intimité avec Chopin est un des épisodes les plus connus de sa vie. Elle-même, dans ses Mémoires, nous en a raconté les douceurs et les déceptions, et il est intéressant de compléter ce récit par la lecture d’une Vie de Chopin, publiée à Dresde l’année dernière, dont l’auteur entre dans des détails négligés par George Sand. J’y trouve le récit de leur première entrevue, qui eut lieu chez la comtesse C… :

« Chopin était au piano ; il improvisait selon sa coutume. En terminant, il leva les yeux et remarqua une femme simplement vêtue qui s’appuyait sur le piano. Ses yeux foncés et pleins de feu semblaient vouloir lire dans l’âme de l’artiste. Chopin sentit qu’il rougissait sous le regard fascinateur de cette femme. Elle souriait. L’artiste, ayant quitté sa place pour s’isoler du reste de la société derrière une touffe de camélias, entendit le doux froissement d’une robe de soie d’où s’échappait un parfum de violette. La même dame qu’il avait remarquée près du piano s’approchait de lui accompagnée de Liszt. Elle lui parla avec une voix profonde et vibrante. Après l’avoir complimenté sur la manière dont il exécutait, elle loua surtout son talent d’improvisation. Chopin l’écoutait ravi et ému. Rien ne vaut pour l’artiste le sentiment d’être compris, et dans ces quelques paroles spirituelles et pleines de poésie Chopin se sentait compris comme jamais il ne l’avait été… Cependant la première impression n’avait pas été de tout point favorable, et il écrivait le lendemain à ses parens : « J’ai fait connaissance avec une célébrité, Mme Dudevant ; mais sa figure ne m’est pas sympathique et ne m’a pas plu du tout. Il y a pourtant en elle quelque chose qui me frappe. »

Une plus ample connaissance devait adoucir cette déplaisance, et pendant huit années la santé délicate de Chopin trouva dans George Sand une garde-malade dont le dévoûment ne s’est pas laissé ignorer. Chopin l’accompagna dans ce voyage à Majorque qu’elle a raconté ici même sous le titre : Un hiver au midi de l’Europe. La chartreuse abandonnée de Valdemosa offrit pendant six mois un abri à leur poétique collaboration. C’est là que les hurlemens désespérés du vent dans les galeries creuses et sonores, le bruit des torrens, la course précipitée des nuages, la grande clameur monotone de la mer interrompue par le sifflement de l’orage, et les plaintes des oiseaux de mer qui passaient tout effarés dans les rafales, inspirèrent à Chopin quelques-uns de ces préludes dont le rhythme vague et tourmenté répond si bien aux caprices mélancoliques de nos rêves. Chopin improvisait ces