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UN REMORDS

TROISIÈME PARTIE[1].

XI.

Le lendemain, au grand jour, Manuela put se faire une juste idée du lieu où elle allait passer sa vie. La maison, considérée du reste comme somptueuse, semblait saupoudrée de charbon, ce qui ajoutait encore à la tristesse de ton d’une sorte de marbre ardoisé très abondant en ce pays et que l’on emploie dans la construction au lieu de pierre de taille ; le sable même de la cour était noir par suite du voisinage des usines situées de l’autre côté du chemin, si près que de chez lui M. Walrey aurait pu à la rigueur promener l’œil du maître sur ses ouvriers. Les deux rives de la Sambre, cette rivière trouble aux bords droits frangés de roseaux rouilles que Manuela en arrivant avait prise pour un canal, sont bordées de hauts fourneaux, de laminoirs, de forges, de filatures, de raffineries, de scieries de marbre, de manufactures de toute sorte, mais où la métallurgie domine. Le fer et le charbon régnent dans le paysage ; ce sont à perte de vue des files interminables de bâtimens très bas et enfumés, pareils à autant de hangars, des cheminées gigantesques d’où s’échappe en spirales une fumée qui se déroule comme un dais sur la campagne obscurcie. Le sol ne forme que de faibles ondulations mal pourvues d’arbres généralement, la nature étant en révolte contre les miasmes de l’industrie humaine ; sur les eaux tristes de la petite rivière utilisée à chaque pas, harcelée par les moulins, fouettée par des roues innombrables, défilent lentement des transports de houille, d’ardoises ou de betteraves. Mieux vaut encore le sinistre flamboiement des feux de la nuit que cette monotonie d’un horizon plat, terne et fangeux entrevu à travers les brouillards du matin.

— La ruche n’est pas très riante peut-être, dit M. Walrey en po-

  1. Voyez la Revue du 15 février et du 1er mars.