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nous offriraient cependant que peu d’exemples de l’exploitation par l’état, nous pouvons dire que l’Amérique du Nord a élevé à la hauteur d’un dogme politique l’inaptitude de l’état à se charger de la construction et de l’exploitation des chemins de fer. Si nous restons en Europe, nous trouvons que les cinq sixièmes environ du réseau sont exploités par des compagnies ; le dernier sixième est exploité par l’état, savoir : en Belgique, 2,105 kilomètres ; en Allemagne, 17,606 ; en Austro-Hongrie, 2,274. Historiquement nous avons donc pu dire que la question était bien loin d’être résolue en faveur du système de l’exploitation par l’état.

Ce ne sont point des considérations économiques qui ont déterminé la création des réseaux d’état ; ceux-ci sont dus presque tous à des motifs politiques, aussi bien en Belgique qu’en Allemagne et en Hongrie.

Pendant trois ans, le régime de l’exploitation par l’état a été essayé en France sur des lignes importantes ; l’impuissance de l’administration à se plier aux nécessités commerciales, impuissance signalée à l’avance par les orateurs les plus influens de l’assemblée nationale, et notamment par M. Jules Favre, a été démontrée par l’expérience. Sur les réseaux exploités par l’état, les taxes moyennes payées par le public ne sont pas inférieures à celles qui sont payées sur les réseaux exploités par les compagnies ; presque toujours même elles sont supérieures.

Sur ces mêmes réseaux, la réglementation remplace la responsabilité. Pour se soustraire aux difficultés des relations avec le public, les directions d’état s’efforcent de limiter l’exploitation, au moins en ce qui concerne le trafic des marchandises, à la traction des trains. Tout individu qui ne peut remettre au moins 5,000 kilogrammes de marchandises à la fois doit ou payer d’énormes surtaxes, ou s’adresser à des intermédiaires.

Si nous cherchons vainement ce que le public gagnerait à la suppression des compagnies et à la transformation de leurs agens responsables en fonctionnaires à peu près irresponsables, aussi bien pécuniairement que personnellement, nous n’avons aucune incertitude sur les pertes que subira l’état. L’état, qui n’impose pas la rente, ne pourra prélever d’impôts sur le revenu des capitaux nécessaires à l’achèvement du réseau. Les impôts qui grèvent si lourdement l’industrie des transports (en 1876 elle a payé 159 millions) seront difficilement maintenus, et il faudra demander à l’impôt les moyens de combler un pareil déficit ; lorsque l’état sera le maître du prix de ces transports, en temps, nous ne disons pas de disette, mais seulement de cherté, jamais on ne maintiendra des taxes un peu élevées sur le prix des choses nécessaires à la vie.