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En même temps, cette évolution intérieure que nous venons de décrire nous offre, mieux que tout le reste, les caractères nécessaires pour réaliser l’idée du droit. D’abord droit implique pouvoir indépendant, puissance d’user de ce qui est et de créer ce qui n’est pas, dans tous les cas puissance défaire, d’agir, de travailler, de se développer. Avoir un droit, c’est avoir droit à quelque chose ; l’idée du droit appelle ainsi celle de l’avenir : on pourrait presque définir le droit l’accès à l’avenir. Conséquemment le droit suppose la progressivité. Or nous venons de voir que la liberté pratique est un pouvoir éminemment progressif : nous la concevons en effet comme une puissance qui ne s’épuise pas dans ses actes, qui peut toujours plus qu’elle ne fait et contient plus qu’elle ne donne. Tel un génie fécond et inépuisable ajoute sans cesse à ses premières œuvres des œuvres nouvelles, plus grandes, plus fortes, plus voisines de lui-même, et cependant toujours impuissantes à exprimer l’infinité de son idéal[1]. De là le droit. Si je n’avais qu’une valeur déterminée et pouvant par approximation s’estimer à tel ou tel chiffre, on trouverait aisément des biens supérieurs à ma

  1. En disant que la liberté et son progrès enveloppent l’idée d’infini, nous ne prenons pas ce mot d’infini en un sens métaphorique, mais tout au contraire dans un sens vraiment scientifique. En mathématiques, on appelle infini ce qui est supérieur à toute quantité donnée ; cet infini peut être une variable ; il n’est pas nécessaire qu’il soit quelque chose de fixe et de déterminé sous tous les rapports. De même, la liberté pratique peut être une variable toujours en mouvement vers le mieux et pour ainsi dire courant en avant d’une course éternelle. S’il en était ainsi, la volonté s’appellerait ajuste titre infinie, c’est-à-dire supérieure, en son essence toujours active et mouvante, à toute borne fixe, à toute mesure immobile et morte comme le nombre. Par cela même aussi, sa valeur intime serait incommensurable.