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que l’accroissement indéfini des cimetières, la nécessité d’ajouter sans cesse de nouvelles galeries aux anciennes et de serrer les tombes les unes contre les autres, semble bien leur donner raison.

Cette immense étendue des catacombes suggère bientôt une autre réflexion qui ne manque pas d’importance. Les sépultures païennes, auxquelles on ne peut s’empêcher de les comparer, étaient beaucoup moins vastes, elles ne contenaient d’ordinaire qu’une seule famille. Les plus grandes sont celles qui renferment les affranchis d’un même maître, les membres du même collège, ou les pauvres gens qui s’étaient associés pour se bâtir à moins de frais une tombe commune. C’est une autre raison qui a réuni ceux qui ont voulu dormir ensemble aux catacombes. Leur patrie, leur naissance, leur fortune, étaient souvent très diverses, ils appartenaient à des familles différentes, ils n’exerçaient pas les mêmes métiers ; peut-être quelques-uns ne se sont-ils jamais rencontrés pendant leur vie. Le seul lien qu’ils avaient entre eux était la religion, mais ce lien est devenu si fort qu’il a remplacé tous les autres. L’église ne faisait pas un devoir aux fidèles de la sépulture commune ; elle ne leur imposait qu’une seule obligation, celle de ne pas ensevelir leurs proches dans des lieux où des païens étaient enterrés et qui pouvaient être souillés par les cérémonies d’un autre culte : pour le reste, ils étaient libres, et nous savons qu’ils ont usé quelquefois de leur liberté. Il y en eut, parmi les premiers chrétiens, qui se firent construire dans leurs domaines des tombes particulières où ils n’admettaient que leurs proches[1] ; mais ceux-là durent être rares, et presque tous voulaient être ensevelis avec leurs frères. C’était, quand on y réfléchit, une innovation grave, et l’indice d’une manière nouvelle de considérer la religion. Chez presque tous les peuples anciens, elle ne se séparait pas de la famille et de la patrie ; le christianisme distingua le premier ce que toute l’antiquité avait uni : on cessa dès lors d’adorer des dieux domestiques ou nationaux. La religion exista par elle-même, en dehors de la famille et de la cité, et au-dessus d’elles. Beaucoup de ceux qui reposent aux catacombes possédaient sans doute ailleurs des tombes domestiques ; d’autres pouvaient être ensevelis parmi les gens de leur condition, avec lesquels ils avaient passé leur vie : tous ont voulu reposer dans un des grands cimetières chrétiens. Ils ont renoncé volontairement à ce voisinage de parens et d’amis qu’on

  1. On a trouvé aussi quelques tombeaux de famine aux catacombes ; mais ils ne pouvaient pas être nombreux. La plupart du temps on employait la terre qu’on tirait des galeries nouvelles à combler les galeries anciennes quand elles étaient pleines. Il devenait donc impossible à une famille de conserver une tombe au-delà d’une ou deux générations.