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n’avaient attendu que les premiers succès de Napoléon pour se rallier à lui. Avant même qu’il fût arrivé à Paris, ils proclamaient le gouvernement impérial. Les troupes de la garnison que le duc d’Angoulême, doutant de leur fidélité, n’avait osé s’adjoindre, les secondèrent, Elles prirent la cocarde tricolore et les aigles qu’elles avaient conservées dans leurs sacs. Le mouvement se communiqua aux villes et aux campagnes voisines. Plusieurs milliers de paysans menacèrent Nîmes au nom de Bonaparte ; on n’arrêta leur marche qu’en les persuadant de l’inutilité de leur concours, la ville ayant fait sa soumission. Un peu plus tard, le général Gilly, ayant obligé le duc d’Angoulême à capituler, rentra dans Nîmes, ne s’occupant plus que de rétablir l’autorité de son ancien maître. La cause des Bourbons fut alors perdue.

Néanmoins, jusqu’à ce jour, tout s’était borné à la manifestation triomphante d’un parti sur un autre. Aucun excès n’avait été commis, si ce n’est l’assassinat d’un étudiant de Montpellier nommé Lajutte, volontaire royal tué dans Nîmes au moment où il allait rejoindre le duc d’Angoulême ; mais l’exaltation était trop vive pour qu’on pût en rester là. Les passions des populations méridionales, fortifiées à cette heure par le souvenir des guerres religieuses et le vieil antagonisme des catholiques et des protestans, étaient déchaînées. Elles vinrent en aide aux haines politiques et dictèrent aux vainqueurs des mesures arbitraires que leur persistance transforma en une véritable persécution contre les vaincus, et qui, selon la juste expression de M. de Viel-Castel, laissèrent dans le parti royaliste, « avec tous les élémens d’une insurrection, d’implacables ressentimens. » On épura la garde urbaine ; on en fit sortir les royalistes, dont plusieurs furent incorporés de force dans des colonnes mobiles. On en arrêta un grand nombre. D’autres n’échappèrent à ces mauvais traitemens qu’en prenant la fuite. Partout les mouvemens royalistes furent impitoyablement réprimés, notamment à Saint-Gilles, où quatre personnes furent tuées et un plus grand nombre blessées. On excita les troupes par des distribuions d’argent, par les séductions les plus grossières, et l’on fit appel à tant de détestables instincts qu’il devint bientôt impossible de contenir ces masses frémissantes. La convention de la Palud avait promis aux volontaires royaux, qu’on appelait les miquelets, la protection des autorités impériales pour faciliter leur retour dans leurs foyers. Elle n’empêcha pas qu’ils fussent attaqués, au moment même où ils se croyaient en sûreté. Au Pont-Saint-Esprit, qui se trouvait sur leur chemin, on leur disputa le passage du pont du Rhône. Les uns furent massacrés, les autres précipités dans le fleuve. Quand ceux qui avaient échappé à ce