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foule s’acharnait avec fureur. Au moment où il arrivait avec ses compagnons, aux abords du château-fort qui sert de prison, elle commença à le lapider. Il reçut les premiers coups sans se plaindre. Tout à coup, un jeune homme, prisonnier aussi, se précipita en criant et vint se mettre devant lui afin de recevoir les coups à sa place ; c’était son fils, qu’on vit alors, insensible à ses propres blessures, entourer de ses bras et couvrir de son corps le vieillard qui lui ordonnait en vain de s’éloigner. Mais cette lutte de dévoûment n’attendrit pas la populace ameutée et les deux malheureux seraient morts broyés, si quelques volontaires émus et indignés ne les eussent soustraits à sa fureur, en les poussant brusquement dans la forteresse, dont les portes se fermèrent aussitôt[1].

Tels étaient donc les résultats des projets de résistance du général Gilly : il exaspérait les royalistes et fournissait à leurs adversaires, partout où ils étaient assez forts pour soutenir la lutte, un prétexte pour retarder leur soumission et même pour devenir menaçans. C’est ainsi que dans la Gardonnenque s’étaient formés des rassemblemens armés qui envoyaient leur avant-garde jusqu’aux portes d’Uzès, et sommaient les habitans d’avoir à faire disparaître le drapeau blanc et de rétablir le drapeau tricolore. Ces rassemblemens étant devenus inquiétans, les autorités municipales de cette petite ville eurent l’idée de leur envoyer, par un parlementaire, des propositions ayant pour but de faire décider que, jusqu’à nouvel ordre, royalistes et impérialistes garderaient leurs couleurs. Un ancien officier, M. Nicolas, garde à cheval des eaux et forêts, s’offrit pour porter ces paroles de paix aux émeutiers et se rendit au-devant d’eux, le 3 juillet, suivi de deux gendarmes. Il les rencontra aux portes mêmes de cette commune d’Arpaillargues où, trois mois avant, les volontaires royaux avaient été massacrés. D’abord ils parurent disposés à l’écouter. Mais à peine eut-il fait allusion aux Bourbons, que sa voix fut couverte par des huées et des cris de « Vive l’empereur ! » Il voulut protester ; au même instant, un paysan plus excité que les autres abaissa vivement son fusil et tira presque à bout portant sur M. Nicolas, qui tomba mort[2]. La négociation, brusquement arrêtée par ce meurtre inexplicable, fut reprise, le même jour, par de nouveaux députés et aboutit à un armistice, aux termes duquel chaque parti conservait ses couleurs et devait rester dans ses positions.

Peu à peu cependant, le cercle se resserrait autour du général Gilly, et, bien qu’il occupât la ville de Nîmes, il ne pouvait plus se faire illusion sur la durée de son pouvoir. S’il résistait encore, c’est qu’il fondait un espoir sur l’arrivée du général Cassan,

  1. Souvenirs d’un témoin, communiqués à l’auteur.
  2. L’assassin se nommait Pénarieu, Il fut condamné à mort et exécuté au mois d’août 1816.