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mauvaise mine se mirent à injurier les sous-offîciers, en leur disant qu’ils n’avaient pas le droit de conserver leurs sabres, et deux détonations se firent entendre comme un signal. Aussitôt on se précipita sur ces soldats sans défense ; trente environ furent tués ou blessés, et parmi eux plusieurs officiers dont un commandant, qui d’ailleurs reçut des soins et fut sauvé[1]. Les malheureux s’enfuirent de tous côtés. Plusieurs furent recueillis chez des habitans d’où on les fit partir déguisés. Le général de Maulmont, dont la vie avait été menacée, parvint à en rallier un grand nombre et à atteindre avec eux le Pont-Saint-Esprit, où ils reçurent des secours du comte de Vogué, devenu, depuis vingt-quatre heures, maître de la citadelle sans coup férir, le général Cassan, qui s’y était réfugié, lui ayant livré cette position, qu’il ne pouvait plus défendre.

Le regrettable événement des casernes est le dernier auquel on puisse attribuer le caractère de fait de guerre civile. Les meurtres subséquens furent de véritables assassinats commis par des bandes isolées que commandaient les sinistres personnages que nous avons nommés et qui ne rencontrèrent que trop d’adhérens dans la lie du peuple et parmi les nombreux individus étrangers à la ville, venus, à la faveur des troubles, pour piller et voler.

L’armée de Beaucaire fit son entrée le lendemain suivie des gardes nationales d’Arles et de Tarascon ainsi que d’un grand nombre de paysans. Les hommes de désordre n’attendaient que ce moment. Ils étaient libres ; ils se répandirent dans la ville sans qu’on pût les arrêter. Plusieurs maisons appartenant les unes à des catholiques, les autres à des protestans, furent pillées, notamment celles des généraux Gilly et Merle. On alla briser les meubles du café militaire. Chez un banquier royaliste, quoique protestant, dont le fils avait suivi le duc d’Angoulême pendant les Cent jours, les bureaux furent envahis. On y trouva un coffre-fort que l’on crut rempli d’or et qui ne contenait en réalité que des pièces de deux sous. On tenta vainement de l’ouvrir. Le comte de fierais, étant accouru, le fit transporter à la mairie. Les honnêtes gens épouvantés songèrent alors à se défendre et parvinrent à pacifier l’intérieur de la ville. Mais les émeutiers allèrent continuer leurs excès dans les faubourgs. Deux cultivateurs[2], auxquels on attribuait des opinions bonapartistes, furent massacrés dans leur vigne ; des femmes protestantes, au nombre d’une douzaine, insultées et frappées comme fustigées à coups de battoirs armés de clous dessinant des fleurs de lis. Nous croyons qu’il faut ranger ce trait parmi les légendes.[3]. Puis les

  1. Nous n’avons pu retrouver l’état des morts et des blessés. Les chiffres que nous donnons sont ceux des documens judiciaires.
  2. André Chivas et Antoine Chef.
  3. Il nous a été impossible de découvrir dans les documens du temps une seule trace des sévices qu’auraient eu à subir des dames protestantes, qu’on a représentées