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Plusieurs crimes ensanglantèrent la ville, le 1er août, — journée funeste qui vit tomber plusieurs victimes, et de laquelle un témoin, dont les lettres figurent dans les documens officiels, écrivait : « J’ai vu, le 1er août, trois hommes arrachés de leur demeure par la garde nationale et fusillés sur le seuil de leur porte… On ne leur donnait pas le temps de faire leur prière. Le sous-préfet estime à quinze le nombre de personnes qui ont péri. »

C’est ce jour-là que Truphémy commit le meurtre qui le fit plus tard condamner. Il y avait à Nîmes un grand nombre d’officiers en retraite, et parmi eux, un ancien capitaine des armées de la république, nommé Bouvillon, que Truphémy résolut de mettre à mort, bien qu’il ne le connût même pas. Accompagné d’un peloton de six hommes armés comme lui, il se présenta dans la maison où l’ex-officier, qui se savait menacé, s’était réfugié avec sa femme et la sœur de celle-ci. À midi, heure du dîner, Truphémy entra brusquement dans la salle où Bouvillon prenait son repas avec sa famille. « Est-ce bien celui-là ? » demanda-t-il à l’un des compagnons. Sur la réponse affirmative de ce dernier, il somma Bouvillon de le suivre, sans lui permettre même de mettre ses guêtres. Les personnes présentes s’interposèrent ; mais Truphémy les menaça, maltraita la femme de l’ancien capitaine, qui s’était jetée devant son mari, et arrêta ce dernier en lui disant : « Marche, coquin, et ose crier maintenant : Vive l’empereur ! — Je n’ai jamais servi l’empereur, répondit Bouvillon ; je suis en retraite depuis douze ans. » On l’entraîna à travers les rues. Truphémy, que deux de ses compagnons venaient d’abandonner quand ils avaient su qu’il s’agissait de fusiller un innocent, précédait son prisonnier, qu’entouraient quatre hommes, et obligeait, avec force injures, les gens qu’il rencontrait à s’éloigner au plus vite. Quand la petite troupe fut arrivée sur la promenade de l’esplanade, Truphémy se retourna vers sa victime : « Va en avant, » lui cria-t-il. Bouvillon obéit. Dès qu’il eut fait trois pas, le boucher lui tira un coup de fusil dans le dos ; plusieurs détonations retentirent, mêlées aux cris de « Vive le roi ! » Bouvillon tomba mort. Truphémy s’avança vers le corps, prit le chapeau, dont il se coiffa, laissant le sien à la place ; puis il s’éloigna avec ses complices, et le cadavre resta là, pendant plusieurs heures, tandis que pour le voir se succédaient nombre de gens dont les uns exprimaient leur horreur pour cet assassinat, dont les autres l’approuvaient, tous désignant Truphémy comme le coupable, sans que l’autorité songeât à l’arrêter, quand il eût été si facile de constater le flagrant délit. Nous avons raconté ce fait avec quelques détails[1], parce qu’il donne une idée de tous les autres. Le même jour, un

  1. D’après l’acte d’accusation et les dépositions des témoins.