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les incidens de la journée, par des provocations involontaires ou voulues, semblaient chercher un prétexte et un but, quand le bruit se répandit qu’un ouvrier royaliste[1] venait d’être tué d’un coup de fusil. La populace attribua ce meurtre à un boulanger nommé Meynier, qui depuis la fin des Cent jours avait été l’objet des plus mauvais traitemens de la part des forcenés par lesquels le parti royaliste était déshonoré. A la fin de juin, il avait été obligé de s’enfuir ; puis, quand il était revenu dans la ville, on l’avait emprisonné. Sa femme réclamant sa mise en liberté, un fonctionnaire avait eu la cruauté de lui répondre : « Va, n’y compte plus ; il est perdu, » et à la prière même du prisonnier, elle s’était réfugiée dans les environs. Meynier cependant était parvenu à sortir de prison. Libre depuis quelques jours, le meurtre de Pascalet, dans la soirée du 3 août, le désigna aux fureurs de la foule. Elle envahit sa maison, dans laquelle il se trouvait avec son père et son frère. Une femme qui partageait leur repas essaya de démontrer leur innocence. Elle fut pourchassée, obligée de fuir, se vit refuser asile chez des voisins, et ne se sauva qu’en allant se cacher au fond d’un puits desséché, après avoir reçu un grain de plomb dans le corps. Pendant ce temps, on massacrait Meynier père et ses deux fils. L’un de ceux-ci n’expira qu’au cinquième coup de fusil. L’autre ayant demandé un prêtre : « Les brigands ne se confessent pas, » lui répondit-on[2]. Le lendemain, la veuve de Meynier, rentrant dans la ville après avoir erré plusieurs jours dans les environs, apprit son malheur de la bouche de femmes qui la cherchaient pour la rassurer et qui la prirent sous leur protection, mais en lui déclarant que le supplice des siens était mérité et qu’elle porterait le deuil « de trois brigands. » Elle arriva enfin chez elle, et put constater le pillage de sa demeure.

Dans la même soirée, un vieillard nommé Court fut assassiné dans son lit. Son fils, ancien soldat, avait le matin même quitté Uzès pour se rendre aux eaux de Vals, dans l’Ardèche. Quand il revint deux mois plus tard, il rencontra Graffand, son ancien camarade de régiment, qui lui devait la vie et qui, après lui avoir dit qu’il n’était pour rien dans la mort de son père, lui offrit aide et protection, et ajouta : « Tous les bonapartistes, protestans ou catholiques, mourront de ma main, y compris les enfans. — Je suis protestant, répliqua le fils Court ; ta protection ne peut être franche. — Voici deux pistolets. Il y en a un pour toi, un pour les autres. — Donne donc, tu verras si je sais mourir. — Tu ne m’as pas compris, reprit Graffand, ce pistolet est pour te défendre et non pour

  1. Pascalet Le meurtre de ce malheureux, dont l’auteur ne fut connu qu’ultérieurement, parait avoir été le résultat d’une erreur.
  2. Documens judiciaires. Archives de la cour de Riom.