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catholiques et trois protestans, — qu’on désigna par leurs noms à Pichon[1]. Le portier se défendit, exigea un ordre écrit, et se fit traîner chez le commandant de place, qui le lui refusa, en disant : « Obéissez, le peuple le veut. » Dépourvu de tout moyen de défense, Pichon dut laisser emmener ces malheureux, qui furent conduits au supplice, deux par deux, et fusillés sur l’esplanade, sans que personne tentât de les arracher aux mains des assassins, à l’exception d’un prêtre, l’abbé Payen, qui se traîna aux pieds de ceux-ci, mais ne put les fléchir, et que quelques âmes charitables éloignèrent dans la crainte que Graffand ne fit feu sur lui pour se débarrasser de ses supplications.

Pendant qu’on mettait à mort les deux premiers prisonniers, un des autres était parvenu, avec l’aide de Pichon, à se cacher dans une cellule. Il fut dénoncé par un détenu condamné à un an d’emprisonnement pour escroquerie et qu’on menaça de mort pour le faire parler. Quand les exécutions furent terminées, les assassins revinrent vers la prison pour y trouver d’autres victimes, en disant : « Il ne faut pas qu’un seul de ces brigands puisse s’échapper. » Mais cette fois Pichon fut assez heureux pour sauver les individus confiés à sa garde, en alléguant que le juge d’instruction ne les avait pas encore interrogés. « On n’aura rien à nous reprocher, objecta Graffand en se retirant ; il y avait trois catholiques et trois protestans. » A la suite de cet événement, la ville resta sous l’empire d’une stupeur qui se prolongea pendant plusieurs jours. Ainsi, à Uzès comme à Nîmes, la faiblesse des autorités favorisait la criminelle audace des scélérats. Elle justifiait en même temps l’irritation des communes voisines, qui pouvaient, au spectacle de ces horreurs, invoquer le droit de la légitime défense. Une conflagration devenait imminente, car les masses étaient prêtes à en venir aux mains.

Les Autrichiens occupaient alors la Provence et le Languedoc ; mais ils n’avaient pas encore pénétré dans le Gard. L’état du département les décida à intervenir. Le département des Bouches-du-Rhône étant écrasé par l’occupation, le préfet de Marseille ne fit aucun effort pour les détourner d’un dessein qui donnait à la cause de l’ordre dans le Gard un pareil secours et allégeait les contrées provençales de l’entretien de 5,000 ou 6,000 hommes. M. d’Arbaud de Jouques protesta en déclarant que ses administrés, obérés, ne pourraient pourvoir aux dépenses de l’occupation. Mais les Autrichiens ne tinrent aucun compte de ses protestations, et, le

  1. C’étaient les nommés Jean Armentier, Th. Ribaud, P. Martin, Jean Dupiac, cultivateurs, François Béchard, ancien maire d’une commune voisine, et Brémond, le messager du général Gilly.