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arrêter ce dernier, elles résolurent de l’éloigner. A dix heures du soir, il reçut l’ordre de se porter à la rencontre des Autrichiens et de se mettre à leur disposition comme éclaireur. Il accepta cette mission, s’adjoignit trente-cinq hommes, se fit délivrer dix paquets de cartouches, un drapeau blanc et partit, monté sur le cheval d’un pasteur protestant, qu’il venait de dérober. Au-delà d’Uzès, il changea d’itinéraire, et, au lieu de chercher à rejoindre les Autrichiens, il se porta sur la commune de Saint-Maurice, dont les habitans avaient organisé des patrouilles pour se garder. Une de ces patrouilles entendit le bruit de la troupe de Graffand et se replia sur le village ; mais elle fut poursuivie et atteinte avant d’y rentrer. « Rendez les armes, lui cria-t-on, on ne veut vous faire aucun mal. » Six de ces pauvres gens se laissèrent désarmer et arrêter, tandis qu’au cri de Qui vive ! qui leur était adressé, les autres répondaient : « Patrouille de Saint-Maurice. » À ces mots, Graffand ordonna une décharge générale qui ne les atteignit pas. L’un d’eux fit alors quelques pas en avant pour reprocher à Graffand sa conduite : « Qui êtes-vous ? demanda celui-ci. — Je suis royaliste. — Bah ! vous vous dites tous royalistes aujourd’hui, » répliqua le brigand. Il déchargea son pistolet sur le paysan, qui tomba baigné dans son sang. Ses compagnons prirent la fuite. Graffand ne jugea pas opportun de les poursuivre et se dirigea, suivi de ses prisonniers, vers la commune de Montaren, où il arriva au lever du jour et où ses hommes voulurent s’arrêter pour manger.

A défaut d’auberge, ils envahirent une maison où ils ne trouvèrent qu’une femme qui leur déclara qu’elle était hors d’état de les nourrir. « Donne toujours ce que tu as, lui répondit-on ; il t’en restera bien assez pour vivre jusqu’à demain. Nous viendrons te chercher ton mari et toi, et vous subirez le sort de ceux que nous conduisons. » Elle dut obtempérer à leur volonté. Tandis qu’elle les servait, elle reconnut un de ses cousins parmi les prisonniers et eut le courage de demander sa mise en liberté. « Allons donc ! s’écria Graffand, c’est le pire de tous ! » Un de ses compagnons ajouta : « Nous allons les fusiller ici. » Cette menace répandue dans le village fit accourir le curé, l’abbé Goirand de Labaume, qui intercéda pour les prisonniers. « On ne doit pas se faire justice soi-même, dit-il ; s’ils sont coupables, la justice les punira. — Ils ont mérité de mourir, monsieur le curé, s’écria Graffand, mais par égard pour vous, je consens à retarder leur supplice jusqu’à Uzès. » Puis il remonta à cheval et donna l’ordre du départ, après avoir enjoint au crieur public de marcher devant lui, avec son tambour. On se mit en route. Les prisonniers étaient attachés deux par deux, à l’aide d’une corde que Graffand s’était fait donner par un épicier, en lui disant : « L’empereur te payera quand il passera. » La troupe arriva