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temps qu’elles menacent, ne connaissent ni les rancunes machiavéliques de la mélancolie lymphatique, ni l’acre fermentation de l’amertume empoisonnée du bilieux, ni les frénésies subites, désordonnées, et toujours ou trop tardives ou trop précipitées, du nerveux. Comme elle se sent puissante pour punir, la colère du sanguin ne s’aigrit jamais en misanthropie, infirmité qui, dans bien des cas, n’est pas autre chose que le sentiment qu’a l’âme de son impuissance à faire justice. Sa gaîté robuste et de franc aloi ne dégénère jamais en sarcasmes irrévérencieux ou en railleries outrageantes pourra vertu ; même lorsqu’il en prend à son aise, il en use avec la morale comme nos pères en usaient avec les choses et les personnages de la religion, et sa gaillardise n’induit pas plus son honnêteté en scepticisme que leur foi n’était entamée par leurs plaisanteries traditionnelles sur l’ânesse de Balaam, saint Joseph et le roi noir. Sa liberté de propos est communicative, non contagieuse ; le sanguin peut être quelquefois dissolu, je doute qu’il s’en soit souvent rencontré de réellement corrupteur. Son intelligence, saine et vive, plus que susceptible, ignore les dépravations de la psychologie ; son goût sûr plus que subtil, et si l’on veut gros plus que fin, évite de lui-même la mièvrerie et la prétention. En un mot, le sanguin est mieux d’aplomb sur lui-même que les hommes des autres tempéramens, et c’est pourquoi M. Emile Augier est de tous nos auteurs dramatiques contemporains celui dont la nature se présente avec le plus parfait équilibre de facultés.

D’autres peuvent au gré de leurs admirateurs offrir des parties plus fortes, agir par intervalles sur le spectateur d’une manière plus saisissante, lui vaut surtout par l’ensemble, car, son esprit étant sans lacunes, ses œuvres sont sans irrégularités. Les pièces de M. Augier ont ce mérite peu commun en ce temps-ci, et plus difficile à atteindre qu’on ne peut le croire, qu’elles ont un commencement, un milieu et une fin, c’est-à-dire qu’elles sont composées avec logique. Il en est dans le nombre de plus ou moins fortes, de plus ou moins heureuses, mais toutes également sont construites avec unité et se tiennent, pour ainsi dire, sur leurs pieds sans boiter ni trébucher. L’inspiration peut faire parfois défaut, mais jamais la méthode, et là où le génie se refuse ou se dérobe l’art arrive pour en masquer l’absence ou en soutenir la défaillance. Rien chez M. Augier qui fléchisse, gauchisse ou détonne, tous les ressorts de l’esprit sont en exacte correspondance, tous les dons en parfaite symétrie. Il est éloquent sans emphase, pathétique sans exagération, sensé sans banalité, original sans excentricité paradoxale. Il sait s’indigner et il sait châtier ; mais ne lui demandez pas la misanthropie vengeresse et la férocité justicière de