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gamme, et cependant serait-il très difficile d’y retrouver cette note d’honnête gaîté que l’auteur du Docteur Herbeau excelle à donner quand il le veut ? Est-ce vous, Térence-Sandeau, qu’il faut louer pour tel sentiment d’une délicatesse ingénieusement exquise comme celui que voici par exemple : « Quand j’étais petite fille, je ne comprenais pas que mon père et ma mère ne fussent pas parens, et le mariage m’est resté dans l’esprit comme la plus étroite et la plus tendre des parentés ? » Et auquel des deux revient l’honneur de ce mot admirable d’Antoinette : « Et maintenant va te battre, » qui scelle d’une manière si imprévue la réconciliation des époux et clôt la pièce avec tant de vraie noblesse ? Questions oiseuses vraiment et que l’on ne songe même pas à se poser, tant les deux instrumens se sont fondus dans un fraternel unisson, et tant on oublie devant, cet accord parfait la double paternité de l’œuvre. Qu’importent ces deux pères, s’ils ont pensé et senti comme un seul ? La grande objection que l’on peut opposer aux entreprises littéraires en collaboration, c’est précisément la difficulté de cet accord, car les sujets où deux talens doués chacun de qualités originales pourront se rencontrer d’une manière aussi heureuse et se confondre avec une telle intimité seront toujours des cas d’exception. La collaboration de M. Augier et de M. Sandeau ne s’est pas arrêtée au Gendre de M. Poirier : a-t-elle jamais retrouvé la même rare fortune, et les œuvres qui en sont sorties ont-elles la même étroite unité ? Sans doute la Pierre de touche contient des parties bien traitées, et cependant n’y a-t-il pas quelques discordances dans cette pièce qui nous présente le monde des aigrefins titrés de Maître Guérin et de la Contagion dans un scenario et un décor romantiques à la Sandeau ? Ici nous sentons visiblement deux talens, deux inspirations ; l’accord, sans être rompu, laisse subsister la dualité des exécutans. La discordance est bien plus frappante encore dans Jean de Thommeray, où M. Augier s’est établi comme en pays conquis dans la charmante nouvelle qui a fourni le sujet de la pièce et l’a livrée à l’invasion des intrigans des Effrontés et des faiseurs de Ceinture dorée. Cette fois, M. Augier a tiré à lui toute la couverture, et il n’en est rien resté pour M. Sandeau. Ce que la nouvelle avait dissimulé avec un art si discret, par crainte de diminuer notre sympathie pour le héros et d’affaiblir par là le touchant effet du dénoûment, est précisément ce que le drame expose sous la lumière la plus crue. Toutes les draperies dont les désordres de Jean avaient été voilés par le romancier ont été déchirées sans vergogne, en sorte qu’au lieu d’écouter l’histoire toute morale d’une âme égarée, nous assistons au spectacle tapageur d’une vie coupable. Le dénoûment reste toujours beau, mais il est beaucoup