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LA

REINE DE SABA

PREMIERE PARTIE.

I.

Au mois de juin 1872, M. Edward Lynde, le jeune caissier de la banque Nautilus, à Rivermouth, parvint enfin à réaliser certain projet qu'il avait longtemps caressé en secret. Un congé de trois semaines lui permit d'explorer à cheval la partie septentrionale du INouveau-Hampshire. Nulle saison ne pouvait être plus favorable. Dans cette partie des États-Unis, la nature garde souvent jusqu'au milieu du printemps la pelisse d'hermine qu'elle a revêtue en hiver, et il faut attendre le commencement de l'été pour la voir dans sa parure fleurie.

Edward Lynde quitta Rivermouth un matin, une heure ou deux avant qu'aucun des citadins de l'endroit fût debout. Jamais il ne s'était senti aussi heureux de vivre, bien qu'il eût une part de chagrins sufiisante pour pouvoir, s'il s'en fût soucié, broyer du noir tout à son aise.

De grandes masses d'ombre obscurcissaient encore le zénith, mais à l'est, sur la bande bleue qui s'élargissait rapidement vers l'horizon, se détachait un faisceau de flèches, de mosquées et de minarets d'or, une vraie cité orientale digne de loger les poètes et les rêveurs. Le jeune Lynde, en dépit de sa prosaïque profession, pouvait compter parmi ces derniers. Il ne perdit donc rien du tableau qui disparut l'instant d'après dans une conflagration générale lorsque le disque rouge du soleil, s'élevant avec lenteur au-dessus des ruines floconneuses de la ville évanouie, marqua le commencement du jour.