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pour créer dans le Reichstag une majorité hostile aux institutions et à l’existence même de l’empire germanique.

Ce qui aggrave le péril, c’est que le loup qui rôde autour de la bergerie a su s’y ménager des intelligences. Plus d’un mouton et plus d’un berger lui témoignent beaucoup d’égards, même quelque sympathie, et sont disposés à parlementer avec lui ; ils lui font des concessions qu’il ne trouve jamais suffisantes et des politesses auxquelles il répond par des grossièretés ; c’est son habitude de montrer ses griffes et ses dents à ceux qui lui font patte de velours. Le socialisme allemand a beaucoup à se louer des services que lui ont rendus et que lui rendent encore tous les jours ces professeurs d’économie politique qu’on a surnommés « les socialistes de la chaire, » honnêtes gens s’il en fut, qui, tout en protestant de l’invincible horreur que leur inspire la révolution sociale, déclarent aussi qu’ils ont découvert des remèdes infaillibles pour guérir tous les maux de l’humanité. Ces économistes à recettes se proclament hautement les représentons du vrai socialisme et ils demandent qu’on les laisse faire ; les choses se passeront en douceur et tout le monde sera content[1]. Ce sont les homéopathes de la science sociale, ils portent dans leur petite trousse et dans leurs petits flacons le salut de la société ; mais la jeunesse ne retient guère de leurs leçons que les épigrammes qu’ils se plaisent à décocher contre les économistes de l’école libérale. La jeunesse ne s’arrête pas volontiers à mi-chemin ; quand on a vingt ans, on croit au bistouri, à la saignée, plus qu’aux dilutions infinitésimales et aux globules, et on a plus de goût pour l’eldorado plantureux de M. Marx que pour le paradis de M. Adolphe Wagner, éden un peu grisâtre, qui manque de gaîté et de houris, et qu’est-ce qu’un éden sans houris ? L’utopie communiste est, paraît-il, fort en faveur parmi les étudians des universités. Il paraît aussi que les bureaux des ministères sont peuplés de jeunes employés qui ont fait une étude approfondie du célèbre et classique ouvrage de M. Marx sur le Capital, et que, l’enthousiasme l’emportant sur la prudence, il leur arrive quelquefois de glisser les formules du maître dans la minute des circulaires que le ministre les charge d’élucubrer.

Ce n’est pas seulement dans les universités et dans les bureaux de ministères que le socialisme s’est créé des relations utiles ; beaucoup d’hommes politiques jugent qu’il est de leur intérêt de le traiter avec de grands ménagemens, et les diverses fractions dont se compose le parti conservateur lui ont fait à plusieurs reprises de flatteuses avances. Tel évêque ultramontain lui a dispensé plus d’une fois les indulgences plénières ; l’orthodoxie protestante trouve qu’il a du bon, ne fût-ce qu’à titre d’épouvantail propre à faire réfléchir la société moderne et à lui

  1. Socialismus, Socialdemokratie und Socialpolitik, von Adolf Held. Leipzig, 1878.