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et aux communards ; son collègue, le tourneur Bebel, est également sincère dans sa croyance en l’âge d’or que le communisme inaugurera sur la terre. M. Most lui-même, le relieur-tribun, le Mirabeau des brasseries de Berlin, croit très sincèrement qu’il est en état d’enseigner l’histoire romaine à M. Mommsen. Quand le socialisme allemand veut se recommander à la faveur du public lettré, il parle métaphysique, il cite Lassalle, il cite Karl Marx, l’homme de Breslau et l’homme de Trêves. Lorsqu’il s’adresse aux petites gens, il emprunte les poumons de M. Most, et les brocs comme les canettes frissonnent de plaisir. C’est ainsi qu’il, a des amorces pour tout le monde et qu’il sert chacun selon son goût.

Je suis oiseau, voyez mes ailes ;
Je suis souris, vivent les rats !


Quels que soient le savoir-faire et l’industrie de ses chefs, le parti socialiste a besoin pour prospérer que ses ennemis fassent de grandes fautes, commettent beaucoup d’imprudences. Il porte en lui un ver rongeur, un germe de destruction ; il est de tous les partis le plus sujet aux dissensions intestines, aux déchiremens d’entrailles. Le démocrate socialiste est de sa nature peu disciplinable ; il a l’humeur sombre, l’imagination ombrageuse ; il est enclin aux noirs soupçons, il voit partout des espions, des ennemis masqués, des agens provocateurs ; se repaissant de visions, ses peurs sont aussi chimériques que ses espérances. L’aristocratie du talent lui est suspecte comme celle de la richesse, et la supériorité de l’esprit est un joug qu’il subit à regret ; il mâche toujours son frein. Ne connaissant pas les chemins qui mènent à la terre promise, il doit s’abandonner, les yeux fermés, à la sagesse de son guide ; mais au moindre caillou qui le fait broncher, il lève son bandeau et s’écrie qu’on le trompe. Il se défie de tout le monde, surtout de ses chefs, et il ressent par intervalles un violent désir de les dévorer, Une mort précoce déroba Lassalle à l’ingratitude de ses acolytes ; on le soupçonnait déjà d’entretenir de secrètes intelligences avec M. de Bismarck. A combien d’imputations calomnieuses son successeur Schweitzer n’a-t-il pas été en butte ! Ce riche héritier d’une famille patricienne de Francfort s’était fait démagogue pour se procurer le seul genre de plaisirs et d’émotions qu’il n’eût pas encore savourés. Bien lui en prit d’opérer à temps sa retraite et de se faire auteur dramatique ; ce métier est difficile aussi, mais moins dangereux ; un parterre vous siffle quelquefois, il ne vous mange pas. Schweitzer a eu tous les bonheurs, il est mort sans avoir été ni mangé ni sifflé. Le démocrate socialiste n’a pas besoin de preuves pour condamner ceux qui excitent ses ombrages ; quelqu’un a remarqué qu’on trouverait plus facilement une date dans une lettre de femme que dans une brochure communiste. D’honorables