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qu’il le répartisse en mesurant à chacun sa dose selon son mérite et ses mœurs. — « Le maître d’école qui a gagné les batailles de Sadowa et de Sedan, lisons-nous dans l’une des meilleures pages de M. Bamberger, soupire après le jour où l’humanité tout entière viendra s’asseoir sur des bancs ; chacun récitera sa leçon et fera corriger ses devoirs, après quoi on lui assignera sa place. On a prétendu que l’état imaginé par nos socialistes serait une caserne ; ce serait plutôt une maison d’éducation, un grand pensionnat. Ce rêve n’est pas sorti du cerveau d’un officier, on y reconnaît la marque d’un instituteur primaire. »

M. Bamberger a passé soigneusement en revue les erreurs bourgeoises qui conspirent avec l’utopie communiste et lui font la courte échelle, il a noté les circonstances qui expliquent l’étonnante fortune du socialisme et la rapidité de ses progrès. Peut-être son énumération est-elle incomplète ; peut-être aux causes qu’il a signalées en faut-il ajouter d’autres, qu’il lui répugnait de constater. Il a dit leur fait aux pessimistes, il a dit leurs vérités aux maîtres d’école, à certaine catégorie de professeurs aussi bien qu’à ces conservateurs bornés qui prennent leurs passions pour des principes. N’avait-il rien à dire aux libéraux, ses amis et ses confrères ?

Le grand essor du socialisme allemand date de la fondation de l’empire. Jusqu’alors il était en proie à de haineuses divisions qui paralysaient ses forces ; il se partageait en deux écoles. L’une se réclamait de Lassalle, qui n’a jamais été communiste dans le sens rigoureux du mot ; l’auteur du Système des droits acquis voulait que l’état ouvrît des crédits illimités aux sociétés coopératives, il le tenait quitte du reste ; ajoutons qu’il est toujours demeuré patriote, qu’il s’intéressait à la grandeur de l’Allemagne. Au contraire, l’école qui reconnaissait pour son chef M. Karl Marx était communiste comme lui et comme lui cosmopolite. En 1875, la réconciliation s’est faite, et c’est M. Karl Marx qui a eu raison de Ferdinand Lassalle ; le communisme cosmopolite a triomphé du patriotisme coopératif. Les deux armées ont confondu leurs rangs, leurs intérêts et leurs haines ; nous ne dirons pas que le parti ne soit qu’un même cœur, mais il n’a qu’une bourse, qu’une devise, qu’un drapeau, qu’un cri de guerre, et il n’aurait qu’un dieu, si ses principes lui permettaient d’en avoir un.

Les plus puissans auxiliaires du socialisme sont les espérances trompées et toutes les espèces de mécontens. L’empire germanique, fondé avec tant d’éclat, a-t-il tenu toutes les promesses de son avènement ? Quand il apparut dans sa gloire, les philosophes le célébrèrent, et les poètes accordaient leur lyre pour le chanter. Émus d’enthousiasme, ils s’écriaient comme Balaam ; — « Que tes tentes sont belles, ô Jacob ! que tes pavillons sont agréables à voir, ô Israël ! » Aujourd’hui les poètes se taisent, les philosophes se plaignent, et les journaux les plus enclins à