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directe, du moins par une sorte d’appendice qui lui ouvre le chemin vers les mers du midi. Elle tient ce qui reste d’empire ottoman par toutes ces dislocations qu’elle lui a infligées, par ces indemnités que la Turquie est certainement hors d’état de payer, et qui peuvent l’exposer ou à subir une exécution sommaire ou à demander merci. La prépotence russe est donc aussi fortement constituée qu’elle puisse l’être, et quand aujourd’hui on fait appel à un congrès pour achever ce singulier ouvrage, quand s’élève la question de savoir quelles sont les clauses qui seraient de nature à être soumises au congrès, qui touchent aux intérêts européens ; la réponse sort d’elle-même de toute cette situation.

La question n’est point évidemment dans une clause spéciale : elle est partout, dans l’esprit même de ce traité où tout concourt à un but unique, dans cette révolution de droit public et d’équilibre universel accomplie par une seule volonté, dans cet ensemble de dispositions qui font qu’il n’y a plus d’empire ottoman et qu’à la place il y a une autre puissance élevant sa domination en Orient, On demande ce qui touche les intérêts européens dans le traité de San-Stefano, on pourrait plutôt demander ce qui ne les touche pas, et lorsque la Russie a encore l’air de ne pas comprendre, lorsqu’après avoir agi sans consulter personne, elle affecte de se représenter comme la première gardienne de ces intérêts, elle peut être habile, elle ne simplifie rien par une équivoque, Elle ne fait que rendre plus sensible, plus irréparable peut-être l’antagonisme qui vient de se déclarer, dont l’Angleterre, pour sa part, semble se décider aujourd’hui à encourir les responsabilités et les chances.

Chose étrange dans une situation où tout devient étrange ! Si l’Angleterre ne souscrit pas à l’œuvre de San-Stefano, c’est elle qui retarde la paix désirée par le monde entier, qui refuse cette satisfaction aux intérêts européens dont la Russie est si vivement préoccupée ! Si l’Angleterre, avant d’entrer dans un congrès, demande quelques éclaircissemens et réclame pour la diplomatie le droit d’une délibération complète. indépendante et efficace, c’est elle qui empêche le congrès ! Si l’Angleterre, inquiète de tant d’événemens inattendus, de la présence des Russes aux portes de Constantinople, franchit les Dardanelles et paraît avec ses vaisseaux dans la mer de Marmara, c’est elle qui se fait provocatrice ! Oui, en vérité, c’est l’Angleterre qui a été le boute-feu en Orient, et par une bizarrerie de plus, voilà la Russie réduite à invoquer contre elle, dans l’intérêt de la paix, — quoi donc ? le traité de 1856 qui interdit aux navires de guerre le passage des détroits ! Il est assez singulier, on en conviendra, de voir la puissance qui vient de signer directement avec la Turquie le traité de San-Stefano rappeler tout à coup le traité de 1856 qu’elle a si bien respecté. Les rôles sont visiblement changés. En réalité, l’Angleterre expie peut-être aujourd’hui les contradictions et les longues tergiversations de sa politique. Il n’est point douteux que dans les deux dernières années il y a eu des instans où avec un peu