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ces manières de parler n’ont rien que de très naturel pour ceux qui savent le français.

Nous ne croirons donc pas pour notre part manquer au patriotisme en disant que l’histoire de la philosophie, et surtout de la philosophie ancienne, est une science allemande. Elle a été certainement fondée au XVIIIe siècle par Brucker, dont l’œuvre est un admirable monument de science et d’érudition, quoique sa critique laisse encore à désirer. Après lui, Tennemann, Schleiermacher, Ritter, Brandis, et bien d’autres ont continué à développer et à perfectionner cette science, et l’ont constituée sur des bases définitives. En rendant cette justice à l’Allemagne, oublierons-nous pour cela la part de notre pays ? Non, sans doute ; nous savons les beaux travaux dont Platon, Aristote, Plotin ont été l’objet parmi nous ; nous savons aussi que les œuvres françaises ont en général un brillant, un mouvement, une largeur, enfin une harmonie d’art et de science qui leur confère une incontestable originalité. Il n’en est pas moins vrai que, pour la profondeur des recherches et l’exactitude des méthodes, pour le nombre et l’étendue des travaux, l’Allemagne est au premier rang.

C’est ce qui d’ailleurs ne peut plus être contesté depuis la publication de l’œuvre monumentale de M. Edouard Zeller, intitulée : la Philosophie des Grecs exposée dans son développement historique, ouvrage qui, malgré ses vastes proportions, est arrivé à sa quatrième édition. On peut affirmer qu’avec cet ouvrage l’histoire de la philosophie ancienne est aujourd’hui une œuvre achevée ou que l’on ne recommencera pas de longtemps : on peut contester telle opinion particulière, discuter sur l’interprétation de tel système, mais l’ensemble reste inattaquable ; l’immensité des renseignemens, la sûreté de la méthode, l’art de la discussion, l’indépendance du jugement, la sérénité de l’appréciation, enfin, ce qui étonnera beaucoup de personnes, la limpidité et l’intérêt de l’exposition, toutes ces qualités réunies font de ce livre un véritable chef-d’œuvre. Aucune histoire de la philosophie n’est plus près d’être une véritable histoire, c’est-à-dire d’être plus dégagée de toute opinion préconçue, de reproduire plus fidèlement la vraie physionomie des systèmes. Quelques raffinés trouveront peut-être que l’auteur est trop terre à terre, qu’il prend trop les textes à la lettre, qu’il n’en cherche pas assez le sens délicat et caché : c’est dire précisément qu’il emploie la vraie méthode, celle d’une circonspection savante, qui craint d’altérer la fidélité de la pensée ancienne, en la fouillant trop curieusement, d’après les besoins de notre imagination moderne.

C’est donc un service rendu à la science que d’avoir entrepris de