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de la vie future et de l’immortalité individuelle, si accusé dans la religion égyptienne, et que M. Röth constate lui-même, se concilie assez mal avec le vague naturalisme que l’on suppose. La doctrine perse nous est un peu mieux connue. Les beaux travaux de M. Spiegel, de M. Bréal, de M. Darmesteter[1], nous autorisent aujourd’hui à affirmer sans hésitation que la doctrine du Zervana-Akarana n’est pas, comme le pense M. Röth, le fond du mazdéisme, mais une doctrine relativement récente, ajoutée après coup à l’édifice original de Zoroastre, de telle sorte que le vrai mazdéisme ne serait que dualisme. On peut trouver aussi bien sévère l’appréciation assez désobligeante que M. Röth fait de cette doctrine. Il n’y voit que la part de l’imagination. Sans doute l’imagination a sa part dans toutes les mythologies : elle l’a en Égypte aussi bien qu’en Perse ; mais il peut y avoir de grandes pensées sous les formes de l’imagination ; et on ne peut nier que le mazdéisme ne soit une des plus brillantes conceptions religieuses de l’esprit humain. L’idée d’un esprit créateur vaut bien celle d’une matière aveugle qui se développe ; et, si l’hypothèse de deux principes, l’un bon, l’autre mauvais, n’explique pas le mal, on ne l’explique pas davantage en le supposant coéternel et coessentiel à Dieu. — Si nous arrivons à l’influence directe et à la comparaison des doctrines, nous avons à regretter d’abord, on l’a vu, une fâcheuse lacune. M. Röth n’a pas expliqué l’influence de Zoroastre comme l’influence égyptienne ; il mentionne seulement Démocrite et Platon. On ne voit pas trop ce que vient faire ici Démocrite, et quel rapport peut avoir la doctrine des atomes avec le culte du feu : on comprendrait mieux le rapprochement avec Héraclite, et c’est celui que l’on fait d’ordinaire. On ne voit pas mieux quels auraient pu être les rapports de Platon et de Zoroastre[2]. On le fait généralement voyager en Égypte, mais non en Perse ; le Timée ressemble plus à la Genèse qu’au Zend-Avesta. Quant à ce qui concerne l’influence de l’Égypte, malgré les longs développemens de l’auteur, sa démonstration est des plus insuffisantes et des plus bizarres. Qu’on en juge par cette exposition de la théorie de Thalès : « L’eau est le principe des choses, » dit Thalès : c’est la matière, Neith. « Dieu a fait le monde avec l’eau : » c’est l’esprit, Kneph. « Dieu est le principe le plus ancien, » c’est le temps, Zevech. « Il a donné

  1. Le livre récent de M. James Darmesteter sur Ormazd et Ahriman doit faire époque dans l’histoire de la critique mazdéenne. Le mémoire de M. Bréal sur le même sujet, couronné il y a quelques années par l’Institut, n’a malheureusement pas été publié.
  2. On a quelquefois rapproché les Idées de Platon et les Feruers de Zoroastre, mais il n’y a pas l’ombre d’une analogie sérieuse. Quant aux rapports d’Héraclite et de Zoroastre, on peut consulter Gladisch (Heracleitos und Zoroaster, Leipzig, 1859). M. Ed. Zeller, dans une note succincte, mais très pleine, montre toutes les oppositions qui se cachent sous d’apparentes analogies. « La principale différence, dit-il, c’est que le mazdéisme est un pur dualisme, et la doctrine d’Héraclite un panthéisme hylozoiste. »