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pourquoi les commissaires de police, les gardes champêtres et, dans une certaine mesure, les gendarmes dépendraient-ils des maires et des sous-préfets ? Cette subordination des administrations publiques à l’autorité préfectorale est toujours nuisible, ne serait-ce que parce qu’elle retarde la marche des affaires ; mais le plus souvent elle est désastreuse parce qu’elle fait intervenir la politique dans les questions qui devraient lui rester absolument étrangères.

Les fonctions des préfets, qui, outre la gestion des intérêts communaux et départementaux, comprennent la promulgation des lois, le recrutement militaire, les opérations électorales, etc., ont jusqu’ici toujours eu un caractère politique qu’il serait très désirable de leur voir enlever, car rien ne saurait exercer sur les populations une influence plus démoralisatrice que de leur laisser croire que c’est par des considérations personnelles, plus que. par la saine appréciation de leurs intérêts, que se tranchent les questions.

Si nous demandons de rendre les administrations publiques indépendantes des préfets, à bien plus forte raison est-il indispensable de les soustraire à l’ingérence dissolvante des corps politiques. Il faut à tout prix en écarter les députés qui usent de leur influence soit pour obtenir des ministres les solutions qu’ils désirent, soit pour leur arracher les nominations des personnes auxquelles ils s’intéressent, soit même pour leur demander la révocation ou le remplacement d’agens qui leur ont déplu, peut-être en faisant simplement leur devoir. Cette intervention de la politique dans l’administration est une des plaies de notre époque, car elle diminue le respect que doivent entraîner tous les actes de l’autorité, habitue les fonctionnaires à attendre leur avancement, non de leur zèle et de leurs capacités, mais de leurs complaisances envers les personnages influens, et a surtout pour effet de rendre toute réforme administrative extrêmement difficile, sinon tout à fait impossible. Les ministres, incertains du lendemain, obligés de compter avec la majorité, sont enclins à donner satisfaction aux exigences des députés et à éviter de léser certains intérêts ; ils s’abstiennent le plus qu’ils peuvent de provoquer des réformes qui font toujours quelques victimes et qui froissent des convenances, laissent les choses dans l’état où ils les ont trouvées, et se contentent de vivre au jour le jour avec les instrumens imparfaits qui leur ont été transmis par leurs prédécesseurs et qu’ils légueront à leurs successeurs. Dans les conditions qui leur sont faites, aucun de nos ministres ne pourrait entreprendre une réforme administrative sérieuse. Eût-il la volonté inflexible et le génie organisateur de Colbert et de Louvois, il serait incapable de briser les résistances qu’il rencontrerait et succomberait sous le poids des intérêts qui se coaliseraient contre lui.