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résister à l’arbitraire, elle arrête les projets aventureux et empêche les surprises. Mais par contre elle favorise la routine et enraie toutes les initiatives. A moins de traiter lui-même toutes les affaires, un ministre ne peut vaincre la résistance de ses bureaux. La force d’inertie que ceux-ci sont à même de lui opposer défie toute attaque, surtout quand elle s’appuie sur les règlemens et la tradition. Irresponsables devant le pays, sans garanties contre l’arbitraire de leurs chefs, les fonctionnaires cherchent naturellement à complaire à ceux de qui dépend leur avenir et trop souvent à effacer leurs opinions devant celles qui leur sont imposées. Ils acquièrent ainsi une certaine souplesse de caractère qui diminue, quoi qu’on en dise, leur valeur morale, et amène, après quelques années de service, un certain scepticisme qu’on remarque surtout chez ceux qui sont arrivés aux emplois supérieurs. Sans doute, il y a des caractères qui ne savent pas plier et des chefs qui tolèrent la contradiction ; mais c’est l’exception et, tant que la position des fonctionnaires ne sera pas garantie par la loi, on verra toujours l’avancement donné à l’intrigue et à la médiocrité laborieuse plutôt qu’au mérite réel. Les employés les mieux notés sont ceux qui, avec une intelligence ordinaire et un caractère sans grande consistance, ont cependant l’ensemble des connaissances voulues pour remplir leurs fonctions sans rien innover. Aussi, s’il n’est pas rare de rencontrer dans les administrations publiques des esprits réellement distingués, il l’est extrêmement de les voir atteindre à des situations élevées. Ce n’est pas en suivant la voie hiérarchique, quelle que soit d’ailleurs la capacité dont ils fassent preuve, qu’ils arrivent aux directions générales ou au conseil d’état, c’est au contraire en abandonnant leurs fonctions et en se lançant dans les affaires ou la politique.

La modicité des traitemens rend très vives les compétitions pour l’avancement ; de là ces sollicitations abusives auxquelles les ministres ne peuvent pas toujours résister. Ceux qui ne vont pas assez vite au gré de leurs désirs prennent l’habitude de décrier leur administration et de critiquer les choix qui sont faits ; mécontens de leur sort, trouvant qu’ils en font toujours trop pour ce qu’ils gagnent, ils font retomber leur mauvaise humeur sur le public, et lui font payer leurs déceptions. Au lieu de se pénétrer de l’idée que leur devoir est de rendre au pays les services pour lesquels ils ont été institués en faisant le moins possible sentir leur autorité, ils affichent trop souvent une morgue déplacée et croient rehausser leur importance en multipliant les formalités et les vexations inutiles. Pour remédier à cet état de choses, il faut donner aux agens