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plus populaires de l’Italie[1] stigmatisaient dans des strophes brûlantes le héros du Trocadero. Une fois roi de Piémont, Charles-Albert n’avait pas su par sa politique hésitante reconquérir la confiance naguère perdue par le duc de Carignan. Le prince royal ne semblait guère promettre plus que son père ; en 1842, il épousait lui aussi une archiduchesse d’Autriche, la propre fille du vice-roi de Milan. Les noces de Victor-Emmanuel amenaient au palais de Turin les blancs uniformes autrichiens, et le mariage du futur libérateur de Milan et de Venise était regardé comme un gage de servitude, comme un anneau de plus à la lourde chaîne qui rivait l’Italie aux Habsbourg.

On approchait déjà de 1848, l’Italie était en fermentation, et ce n’était point encore vers la maison de Savoie que se dirigeaient les regards des patriotes ; c’était vers Rome, vers le nouveau pape, vers Pie IX, dont, à la suite des néo-guelfes, toute la péninsule, attendait le signal de l’émancipation. Charles-Albert, cédant à sa générosité naturelle et à l’entraînement national, se décidait enfin à frayer à son fils la route sur laquelle il devait tomber lui-même. Le roi de Piémont accordait à son peuple cette constitution subalpine, ce statuto qui, au bout de trente ans, est encore la pierre fondamentale de l’Italie nouvelle. Milan soulevé chassait la garnison autrichienne, et en allant au secours des Lombards le roi de Piémont arborait le drapeau aux trois couleurs, emblème longtemps proscrit des espérances de l’Italie. De ce jour date la haute fortune de l’héritier des anciens ducs de Savoie. Avec le statut et le drapeau, avec le gage de la liberté et le symbole de l’indépendance, Charles-Albert avait donné à sa maison le double talisman qui lui devait valoir l’empire de l’Italie entière.

Au milieu même de ses brillans succès des premières semaines, Charles-Albert était loin de prévoir le terme où sa courageuse initiative devait conduire son fils. Les patriotes n’avaient point alors de programme déterminé ou accepté de tous, le programme devait se formuler et s’élargir avec l’action ; mais, avant de savoir que faire de son indépendance, l’Italie devait éprouver que le poids qui pesait sur elle était trop lourd pour être soulevé par elle seule. Charles-Albert devait expier le téméraire farà da se. On sait les inutiles victoires et les prompts revers du Piémont en 1848, Pastrengo, Santa-Lucia, Goito, où Victor-Emmanuel se fit blesser, puis la défaite de Custozza, l’abandon de Milan au milieu des outrages d’un peuple égaré, la retraite, l’armistice. On sait la reprise des hostilités en 1849 par le Piémont réduit à ses seules forces et la campagne de trois jours terminée par le désastre de Novare.

  1. Giusti et Berchet.