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l’état pouvait montrer une égale confiance. L’Italie nouvelle a ainsi ses whigs et ses tories, qui, en parvenant successivement au pouvoir, lui peuvent assurer le fonctionnement régulier du mécanisme parlementaire. C’est là un avantage que l’Angleterre et la Belgique sont seules à partager avec elle, et que les hommes d’état italiens doivent tous être jaloux de conserver à leur patrie, en ne permettant pas à leurs rivalités personnelles d’amener la décomposition et l’émiettement des partis.

Cette distribution des forces parlementaires en deux armées régulières, l’Italie la doit en grande partie à son premier roi. C’est la loyauté, la popularité, le libéralisme et la tolérance de Victor-Emmanuel qui ont fait des démocrates et des radicaux de la gauche un parti constitutionnel. Pendant presque tout son règne, Victor-Emmanuel avait gouverné avec les différens groupes de droite, avec les amis et les héritiers de Cavour, qui l’avaient aidé à faire l’Italie. Dans les dernières années, les votes du parlement avaient décidé le roi à prendre ses ministres au sein de l’opposition, en grande partie composée d’amis de Garibaldi et d’anciens républicains. A la veille de sa mort, le roi en était à son second cabinet de gauche. Victor-Emmanuel avait ainsi entièrement parcouru le cycle des évolutions parlementaires, il avait gouverné avec la gauche comme avec la droite. A cet égard aussi on peut dire que le roi n’est mort qu’après avoir achevé son œuvre et l’avoir mise à l’épreuve. Au royaume qu’il a fondé, il a légué un bien presque aussi précieux que la liberté même, une tradition de gouvernement.


IV

Le premier roi d’Italie est mort, l’Italie lui survivra-t-elle ? Bien des devins et des prophètes annonçaient à l’avance que l’édifice si rapidement achevé par Victor-Emmanuel ne saurait se soutenir sans la main qui l’avait élevé. L’événement montre déjà l’inanité d’un semblable horoscope. En aucun pays, la mort du chef de l’état n’eût pu causer plus de chagrin et moins de trouble. L’Italie survit à Victor-Emmanuel, comme elle a survécu à Cavour. Désormais son existence nationale ne dépend pas plus de la vie d’un homme que n’en dépend l’existence d’un état dix fois séculaire, tel que la France ou l’Angleterre. Le deuil même de la nation pour la perte de son libérateur a témoigné du peu d’influence des partis extrêmes. L’Italie, confondue tout entière dans une même douleur, a montré par ses larmes qu’elle était une, moralement aussi bien que politiquement.

Je doute que dans toute l’histoire il y ait eu un prince, il y ait eu un homme plus universellement regretté que Victor-Emmanuel. Les