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si tous ces sacrifices étaient inévitables. Pour ma part, je ne le crois pas. Dans cette révolution si habilement conduite, où la prudence et l’audace se sont si heureusement alliées, au milieu de tant de marques de sagesse et de tant de signes de bonheur, il y a eu une faute de commise, une faute dont les conséquences pèsent lourdement sur le nouveau royaume. Le parlement italien n’a point su adopter à temps les impôts nécessaires. En devenant une grande nation et une grande puissance, l’Italie a eu de grands besoins, on a voulu les satisfaire avant de s’en être assuré les moyens. Un des ministres de la péninsule avait dans ces dernières années posé en principe qu’aucune dépense ne devait être inscrite au budget qu’en y inscrivant simultanément des ressources équivalentes. On n’a pas eu la sagesse de se conformer assez tôt à cette maxime, on n’a pas eu le courage d’élever immédiatement les taxes au niveau des besoins. On voulait ménager la popularité de l’idée nationale, on voulait éviter les déceptions, on n’a fait que les retarder pour les accroître. En laissant le déficit s’accumuler, l’état, et les villes et les provinces à son exemple, ont laissé grossir le budget et avec lui les impôts.

Ici nous pouvons sans fausse gloire faire un retour sur nous-mêmes : la France, qui pour le sens politique s’est souvent montrée inférieure à l’Italie, lui a été supérieure en prudence, en prévoyance financière. Lorsque les années 1870 et 1871 ont jeté sur notre pays une surcharge d’une dizaine de milliards, aucun parti ne s’est refusé à voter les taxes indispensables, aucun n’a cherché la popularité aux dépens du trésor public. Il n’en a pas toujours été de même chez nos voisins, c’est peut-être la seule façon dont ils aient manqué de patriotisme et de clairvoyance. L’Italie a fait la faute d’accepter trop tard des charges inévitables ; si elle veut s’épargner de plus graves déceptions, elle doit éviter la faute de rejeter trop tôt les taxes auxquelles il lui a fallu recourir. Avec quelques réformes de détail et quelques années de patience, en ne voulant pas trop anticiper sur l’avenir, l’Italie est certaine de voir ses finances se rétablir et son unité produire tous ses fruits.

Si la révolution n’a point donné au peuple tout ce qu’il s’en promettait, il ne s’ensuit pas qu’elle ait été stérile pour la richesse et le développement matériel de la péninsule. Loin de là, les grands travaux publics, les réformes civiles, administratives, économiques, ne sont pas demeurés sans résultats. En dépit de la gêne du trésor et de la pénurie des municipalités, en dépit de l’émigration de l’or et de l’argent, Victor-Emmanuel a laissé l’Italie incontestablement plus riche qu’il ne l’avait trouvée. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à jeter les yeux sur les tableaux du commerce extérieur de