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son empire ; après avoir fait ressortir les conséquences inévitables des projets de la Russie, et se plaçant au point de vue des intérêts anglais, il s’exprimait comme il suit, le 19 juin :

« Il est vital pour nos intérêts les plus graves, pour des intérêts dont aucune expression ne saurait rendre l’importance et encore moins l’exagérer, que nous soyons prêts à nous interposer pour sauver l’empire turc d’une dissolution complète. Quand même nous nous serions déterminés à abandonner cet empire à son sort, nous ne nous sommes pas déterminés à abandonner de même les intérêts les plus considérables de l’empire britannique. Assurément la politique qui nous a fait soutenir la Turquie pour nos propres fins et pour notre sécurité et non par un amour abstrait des Turcs et de leur religion, politique approuvée et pratiquée par les plus grands hommes d’état, n’est pas de celles que les événemens de ces derniers mois, qui n’ont aucun rapport avec elle, suffisent à mettre à néant. Cette politique est basée en partie sur la conviction que la Turquie est un obstacle aux projets ambitieux de la Russie en Orient, et que le sultan, chef reconnu de la religion musulmane, est un allié utile, sinon nécessaire, pour l’Angleterre, qui compte des millions de mahométans parmi ses sujets. Il peut être dépouillé de son empire et réduit à la condition d’un potentat asiatique de cinquième ordre ; mais il sera toujours le chef de l’Islam, et le monde musulman, dans une lutte pour son existence même, peut se retourner contre l’Angleterre, comme la principale cause du danger qui le menace.

« Je sais que certaines personnes qui ne sont pas sans autorité sont disposées à traiter légèrement cette idée d’une union des musulmans, mais je suis persuadé, par ce que je vois se passer autour de moi et par ce que j’ai appris, qu’il faut la prendre en sérieuse considération. Il est à peine nécessaire d’insister sur les résultats de l’effondrement et du partage de l’empire ottoman pour l’équilibre des puissances et sur l’immense danger que ferait courir à la liberté et à la civilisation l’établissement d’un vaste empire militaire slave embrassant l’orient de l’Europe. Si le gouvernement de sa majesté juge qu’il n’y a rien à faire pour s’opposer aux desseins de la Russie, nous devrions au moins être préparés à servir de médiateurs lorsque le moment arrivera… Par là, nous pouvons recouvrer et conserver une partie de cette grande et prépondérante influence, — j’hésite à employer le mot de prestige, qui a provoqué des sorties si violentes, — dont l’Angleterre jouissait naguère parmi les nations et les communautés musulmanes et même chrétiennes de l’Orient, et qu’elle est à même d’employer pour son bien et pour le leur. »

Les appréhensions que M. Layard exprimait pour le prestige de