Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 26.djvu/940

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cependant cette politique d’attente, d’atermoiement et de faiblesse que les radicaux anglais ont persisté à dénoncer comme une politique belliqueuse. Les premiers actes de virilité que lord Beaconsfield arracha à la pusillanimité de ses collègues : la convocation anticipée du parlement et la demande du crédit de 6 millions de livres provoquèrent un redoublement d’accusations. Le 30 janvier, la veille du jour où la discussion devait s’ouvrir sur la demande de crédit, M. Gladstone, dans un banquet auquel les libéraux d’Oxford l’avaient convié, se faisait un titre d’honneur de l’agitation qu’il avait organisée et conduite depuis plusieurs mois ; et au cours des débats, un autre libéral, collaborateur assidu du Times, sir William Vernon Harcourt, mettait les ministres au défi de provoquer des réunions populaires, et de demander aux citoyens assemblés l’approbation de leur politique. Défi imprudent que les ministres pourraient aujourd’hui renvoyer à leurs adversaires ! Jamais revirement plus complet et plus éclatant ne s’opéra avec autant de promptitude.

Les procédés de la Russie, en froissant outre mesure l’orgueil anglais, ont singulièrement contribué à déterminer et à précipiter ce retour de l’opinion. Le refus de la médiation et même des bons offices de l’Angleterre a été la première blessure. Les détours employés pour retarder la négociation de l’armistice et des préliminaires, puis pour en retarder la signature pendant que les généraux russes poursuivaient leur marche en avant, le mystère dont la négociation fut entourée, le silence gardé sur les conditions précises de l’armistice et des préliminaires de paix, qui ne furent connus que lorsque les troupes russes étaient déjà dans la banlieue de Constantinople, tout vint ajouter à l’irritation croissante du peuple anglais. Les allées et venues de la flotte anglaise, quittant la baie de Besika pour y revenir dès le lendemain, faisaient un piteux contraste avec la décision et la promptitude d’action du gouvernement russe. Le passage des Dardanelles par l’escadre de l’amiral Hornby n’apporta quelque soulagement à l’amour-propre national que pour devenir presque immédiatement une cause nouvelle d’exaspération : en effet, cette mesure, qui n’aurait provoqué aucune observation de la part des Russes, et qui aurait peut-être modéré leurs exigences, si elle avait été prise au début des négociations, fut pour eux un prétexte de s’affranchir des stipulations de l’armistice : ils se firent autoriser par le sultan à occuper San-Stefano, sur la mer de Marmara, à quelques kilomètres à peine de Constantinople, et, s’ils n’occupèrent point Constantinople, ce fut à la condition que la flotte anglaise irait mouiller sur la côte asiatique de la mer de Marmara, et n’opérerait aucun débarquement ni d’hommes ni de matériel. Deux notes furent échangées les 17 et