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avec un goût très vif de la vérité et un zèle studieux. Il ravive justement ces souvenirs des premiers temps de 1836, toujours instructifs et pleins de lumières pour ceux qui ont des gouvernemens à fonder.

Ce régime des dix-huit années de 1830 à 1848, dont M. Victor du Bled raconte les laborieuses et émouvantes épreuves, il n’avait point assurément une œuvre facile. Il naissait d’une révolution qui était légitime sans doute, qui a même été la seule vraiment légitime, puisque seule elle a été l’expression d’un mouvement spontané de résistance légale, mais qui remuait dans ses profondeurs la société française. Il avait à fonder une royauté nouvelle sans la laisser ni diminuer ni dénaturer par les partis. Il avait à donner satisfaction aux sentimens, aux instincts par lesquels il avait triomphé, à maintenir toutes les libertés et en même temps à raffermir l’ordre ébranlé, à retenir le pays sur la pente de l’anarchie, à se défendre contre les insurrections, contre les conspirations républicaines, contre le déchaînement des sectes socialistes. Il avait à maintenir la dignité nationale contre les défiances ou les menaces de l’Europe absolutiste qui incriminait ses actes, suspectait ses intentions, et d’un autre côté à contenir les propagandes révolutionnaires, les passions belliqueuses qui auraient pu conduire à une conflagration universelle. En un mot, contesté, harcelé, assailli de tous côtés, il avait à se tenir en garde contre tous les dangers extérieurs ou intérieurs. Son existence était un combat de tous les instans. Comment sortait-il victorieux de cette épreuve ? Il se trouvait un roi ayant autant de sagesse que de fermeté, autant d’expérience que de sagacité, et autour du prince il se trouvait aussi des hommes faits pour créer la politique de la situation nouvelle. La monarchie de juillet avait aussitôt, pour la défendre, pour la représenter et conduire ses affaires, des serviteurs comme M. Casimir Perier, le duc de Broglie, le maréchal Soult, M. Molé, M. Guizot, M. de Montalivet, M. Thiers, un des plus jeunes et déjà un des plus brillans athlètes du gouvernement nouveau. C’est avec une politique fortement conçue et des hommes faits pour illustrer cette politique que le régime de juillet réussissait en peu de temps à rétablir une société ordonnée sans dictature, par la seule puissance des lois libérales, à fonder la Belgique sans déchaîner la guerre en Europe, à maintenir l’influence française en Italie sans entrer en conflit avec l’Autriche. Voilà la moralité de ces années de luttes et de succès ! Comment la monarchie de juillet a-t-elle perdu ensuite les fruits de ses premiers efforts et a-t-elle disparu un jour à l’improviste ? L’historien M. Victor du Bled n’en est pas là, il y viendra bientôt. Le régime de 1830 a péri non sous les coups de ses adversaires, mais peut-être par les divisions de ses défenseurs, parce qu’il n’a plus été aussi vigilant, parce qu’il a trop cru à son habileté, à ses succès, à ses majorités officielles. Voilà une autre moralité pour ces