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confident, mais le familier d’un roi. Il se vengea sur l’homme, il se vengea sur le chambellan de sa majesté prussienne des témoignages d’admiration qu’il ne pouvait refuser et du tribut d’éloges que jusqu’au dernier jour il ne cessa d’acquitter au poète, à l’historien, au publiciste de Ferney. Voltaire accepta tout. Non pas qu’il ne connût de longue date et qu’il n’eût jugé son Frédéric. Vingt autres à sa place eussent même gardé l’éternelle rancune des leçons qu’il avait déjà reçues. Toutes les fois en effet qu’il avait essayé de sortir de son rôle de bel esprit et de correspondant littéraire, Frédéric, en quatre mots, l’y avait ramené promptement. « Faites des vers, mon cher Voltaire, » lui disait-il en post-scriptum, et c’était toute sa réponse aux sollicitations parfois indiscrètes que Voltaire lui adressait, et Voltaire ne soufflait mot. Un autre jour, il le chargeait de lui recruter une troupe dramatique « pour le comique et pour le tragique, bonne et complète, les premiers rôles doubles, » et la troupe n’était pas plus tôt formée, les arrangemens pris, le départ convenu, que l’imprésario, tout grand homme qu’il fût, recevait un contre-ordre bien net, bien catégorique, et là-dessus de redoubler de protestations, d’offres et de sermens. Ou bien encore, par faveur singulière, on le priait de surveiller l’impression de l’Anti-Machiavel, et quand le livre, corrigé, refait, expurgé par Voltaire, commençait à se débiter, Frédéric désapprouvait l’édition publiquement et « donnait pour cet effet un article pour les gazettes. » C’était aussi par la gazette que répondait Voltaire en y faisant imprimer un sommaire des droits de sa majesté le roi de Prusse sur Herstall. On n’est pas plus accommodant. Il ne fit pas moins bonne figure aux grands airs de raillerie dédaigneuse dont Achille accueillit, à deux reprises, ses prétentions diplomatiques, car ce fut comme un négociateur de comédie que le traita Frédéric, répondant à des propositions par des plaisanteries et des impertinences, et ne prenant qu’à peine le soin, dans les grandes occasions, de dédommager l’amour-propre du poète par quelques témoignages d’affection et quelques mots d’amitié. On a peine à comprendre qu’instruit par de telles expériences Voltaire ait osé s’aller établir à Berlin. Ne prévoyait-il pas ce que l’avenir lui ménageait là-bas d’humiliations nouvelles, ou son incurable vanité l’aveuglait-elle jusque-là qu’à force de gentillesses et de courtisanerie il se flattât de triompher du caractère de Frédéric ?

Il donna dans le piège. « 150,000 soldats victorieux, écrivait-il à D’Argental, point de procureurs, opéra, comédie, philosophie, poésie, un héros philosophe et poète, grandeur et grâces, grenadiers et muses, trompettes et violons, repas de Platon, société et liberté ! Qui le croirait ? » Mais l’enchantement des premiers jours ne tarda pas à se dissiper. Il ne faut pas dire avec le docteur