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frontons du nouveau Louvre. Il y a là une parfaite injustice sans doute, mais cette injustice n’en existe pas moins.

Par quelle singulière exception David seul, ou à peu près seul parmi les sculpteurs contemporains, a-t-il réussi à se mettre et à rester en crédit auprès de tout le monde ? D’où vient que, depuis sa mort, la célébrité qu’il avait acquise n’a rien perdu de son prestige, qu’elle semble même s’être accrue en proportion du nombre des biographies, des recueils de pièces lithographiées ou photographiées, des écrits ou des reproductions de toute sorte qui se sont succédé, depuis les notices nécrologiques sorties de la plume d’Halévy, de Théophile Gautier et de tant d’autres, jusqu’aux volumes de planches publiés par M. Eugène Marc et par le fils du sculpteur, — jusqu’au travail, bien complet cette fois et probablement définitif, que M. Henry Jouin vient de faire paraître sur ce maître si universellement admiré ?

Était-ce donc que le talent de David s’imposât à tous avec cette influence irrésistible que comportent les grandes découvertes ou les inspirations souveraines du génie ? Certes ce talent, considérable à plus d’un égard, est de haute race et de forte trempe. Quelques-uns des principes dont il procède, les mérites qui le caractérisent, suffiraient de reste pour lui assurer les suffrages des bons juges ; mais le tout ne saurait suffire pour expliquer comment il a pu réussir si bien auprès du public en masse et l’intéresser si extraordinairement à sa cause. C’est ailleurs qu’il faut chercher la raison principale de ce phénomène. On la trouvera dans la nature même des sujets traités le plus habituellement par David, dans les souvenirs familiers à tous et tout modernes qu’éveillent ou qu’entretiennent les thèmes choisis et les personnages représentés. Si David n’avait fait dans le cours de sa vie que se conformer aux traditions mythologiques ou religieuses ordinairement suivies, s’il n’avait produit que des bas-reliefs comme celui qui entoure un des œils-de-bœuf de la cour du Louvre, des statues comme le génie funèbre du Tombeau de la duchesse de Brissac, comme sa Sainte Cécile ou même comme son Philopœmen, il est à présumer que ces œuvres, quel qu’en eût pu être le nombre ou le mérite, n’auraient pas procuré à son nom plus de popularité que n’en ont obtenu dans ce siècle les noms d’autres habiles sculpteurs ; mais, au lieu de s’en tenir suivant l’usage aux personnifications idéales, David a le plus souvent pris ses modèles dans une sphère moins éloignée de nous et de nos habitudes d’esprit. Non-seulement les hommes qui dans le passé honorent le plus notre histoire ou l’histoire des pays étrangers ont tour à tour inspiré sa pensée et occupé sa main : les contemporains eux-mêmes lui