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qui pouvaient attirer des complications redoutables ; en outre, on avait pris vis-à-vis de Charles Beslay une sorte d’engagement de cesser toute relation avec « la réaction monarchique. » La réaction monarclii(|ue, c’était le gouvernement régulier qui se préparait à tenter un eiïort désespéré pour sauver la république que la commune était en train d’étrangler. Il y avait donc là un état de choses plein de périls auquel le maïquis de Plœuc voulut mettre fin, après avoir pris l’avis du conseil des régens. Les correspondances, très surveillées, pouvaient être saisies et créer de nouveaux inconvéniens ; il résolut d’aller lui-même à Versailles s’en expliquer avec M. Thiers, et dans ce dessein il demanda un laisser-passer à Beslay, qui l’obtint immédiatement de Raoul Rigault[1].

Le 2 avril, pendant que l’on inaugurait dans l’avenue de Courbevoie cette série de combats qui devaient durer cinquante-sept jours consécutifs, M. de Plœuc arrivait à Versailles et obtenait une audience de M. Thiers. Celui-ci était dans une ignorance absolue de ce qui se passait à la Banque ; le bilan lui en avait cependant été remis, mais il l’avait lu superficiellement ou ne l’avait pas lu du tout, car il croyait que l’encaisse ne formait qu’une somme de 7 millions ; on était loin de compte, les valeurs renfermées à l’hôtel de La Vrillière à cette date représentaient environ 3 milliards. M. Thiers fut à la fois surpris et découragé en apprenant la vérité. Lorsque M. de Plœuc lui demanda, aussitôt que les murs de Paris seraient foicés, d’envoyer un régiment au pas de course pour occuper la Banque, il répondit avec tristesse : — Nous n’en sommes pas là ! mais il comprit la nécessité de suspendre tout envoi de mandat et promit que, sous ce rapport du moms, il veillerait à ce que la Banque fût protégée. M. de Plœuc avait agi en temps utile, car le soir même, lorsqu’il revenait à Paris, il se rencontra en wagon avec M. X. qui était porteur d’un mandat de 60, 000 francs, payables à vue sur la Banque.

Le lendemain, le marquis de Plœuc fut très étonné et un peu effrayé d’apprendre que l’un des régens de la Banque, M. Denière, avait été arrêté la veille et n’avait point encore été relâché. Il courut prévenir Charles Beslay. — Vous connaissez notre constitution, lui dit-il ; je ne puis rien faire sans le conseil des régens : si on les emprisonne, il me sera impossible de ne pas repousser les réquisitions de la commune ; cela est très clair, pas de régens, pas d’argent ; allons faire délivrer M. Denière. Charles Beslay s’empressa de suivre M. de Plœuc, tout en disant : « Ça ne peut être qu’un malen-

  1. Le texte du laisser-passer est curieux : « Permis au citoyen Ploouc, gouverneur de la Blanque, d’aller et revenir de Versailles. Paris, le 1e avril 1871. Le délégué civil à l’ex-préfecture de police : Raoul Rigault. » La signature seule est de Raoul Rigault ; le texte est d’une écriture assez rapide, quoique incorrecte.