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il prétendait à la succession totale de l’Espagne au cas où le fils de Philippe IV mourrait sans enfant, mais encore, avant ces droits généraux qui ne pouvaient être exercés qu’à la mort de Philippe IV et du prince héréditaire, il croyait posséder du chef de Marie-Thérèse des droits particuliers sur la succession des Pays-Bas, droits qu’il pensait pouvoir invoquer dès la mort de Philippe IV. Selon une coutume de Brabant adoptée dans certaines provinces des Pays-Bas, les biens patrimoniaux revenaient exclusivement aux enfans du premier lit, au détriment des enfans du second. Le père remarié perdait la nue propriété de ses biens, dont il restait seulement usufruitier, et à sa mort la succession était dévolue aux enfans du premier lit. Louis XIV manifesta la volonté de transporter de l’ordre civil dans l’ordre politique cette coutume toute locale et de considérer le dauphin de France comme ayant reçu de Marie-Thérèse sa mère non-seulement des droits éventuels sur la totalité de la monarchie espagnole, subordonnés à l’extinction des mâles de la maison d’Espagne, mais encore des droits certains et irrévocables sur une partie des Pays-Bas, droits qu’il exercerait dès la mort de Philippe IV et du vivant même de Charles II, issu d’un second mariage. A l’objection tirée de la renonciation faite par Marie-Thérèse dans son contrat de mariage et qui anéantissait toute espèce de droits successifs, Louis XIV répondait, en droit, qu’un simple contrat ne pouvait pas détruire l’antique et fondamentale loi de succession en Espagne, et en fait, que la renonciation était nulle, puisque le paiement de dot auquel on l’avait subordonnée n’avait pas eu lieu. Mais Louis XIV et Lionne, malgré leur habileté, ne trouvaient rien à répondre quand on leur objectait ce qu’il y avait d’étrange à vouloir régler par des maximes de droit privé un héritage politique régi par un droit spécial. La réponse même de Louis XIV pouvait lui être opposée, car, puisqu’il ne consentait pas à admettre que la loi fondamentale de succession fût annulée par un simple contrat de mariage, comment pouvait-il prétendre qu’elle fût sacrifiée à une coutume locale, étrangère à la transmission de la souveraineté? Comment pouvait-il prétendre qu’une partie de la succession fût soustraite à l’action de la loi séculaire du royaume? Cette loi de transmission de la couronne était une, générale, universelle, invariable. L’incliner devant les coutumes locales de quelques-unes des provinces, c’était la vicier dans son essence, l’entamer dans son universalité, c’était anéantir ses effets salutaires et démembrer la monarchie espagnole. Mais à un roi jeune, ambitieux, brûlant de l’ardeur de se distinguer, il fallait un théâtre propice à l’impatience de ses desseins. L’Europe était en paix : le traité de Westphalie avait pacifié le centre du continent; le traité des Pyrénées avait donné le repos au midi; les traités de Copenhague et