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— Bénot répondit : — Je m’en charge ! — Nul de ceux qui étaient là ne fit d’objection : Bergeret était le maître et parlait au nom du comité de salut public ; on se prépara à obéir. Entre cinq et six heures, au moment où des tourbillons de fumée, s’élevant à droite et à gauche du jardin des Tuileries, dans la direction de la rue de Rivoli, de la rue Royale et de la rue de Lille, annonçaient que le plan longuement médité sortait de la théorie pour entrer résolument dans la pratique, cinq fourgons chargés de barils de poudre, de bonbonnes de pétrole, de tonnelets de goudron liquide, arrivèrent par la place du Palais-Royal et pénétrèrent dans la cour. Toutes ces matières inflammables et explosibles furent rangées dans le vestibule du pavillon de l’Horloge. On se partagea la besogne. Bénot se réserva le pavillon central ; Boudin eut pour mission de « préparer » le pavillon Marsan ; un troisième bandit, qui pourrait bien être un certain Auguste-Adolphe Girardot, simple fédéré du 231e bataillon, fut envoyé au pavillon de Flore ; chacun de ces porte-torches était accompagné d’une équipe de dix hommes environ, choisis parmi les fédérés du 174e bataillon, qui était cantonné aux Tuileries. — Comme Boudin allait pénétrer dans le palais, une cantinière lui dit : « Ce que vous allez faire là est un crime, capitaine. » Il répondit : « Je m’en moque, il faut que tout brûle ! » Non-seulement il s’était muni de pétrole, mais il avait pris les tonnelets de goudron liquide, et avec beaucoup de soin il enduisait les tentures des appartemens, les boiseries du théâtre, l’autel, l’orgue de la chapelle où Dardelle aimait à charmer ses loisirs. Pendant que Boudin « travaillait » dans cette partie du château, Bénot ne restait pas inactif. Dans le grand vestibule, près de l’escalier d’honneur, il fit disposer trois barils de poudre. On en hissa deux jusque dans la salle des Maréchaux ; des seaux d’huile minérale furent répandus sur les parquets ; à l’aide de balais, on en aspergeait les murs ; dans les barils défoncés, on prenait la poudre avec des pelles et on la lançait à travers les appartemens. C’est un miracle que ces chenapans n’aient point sauté en accomplissant leur tâche diabolique. Au pavillon de Flore on brisait les bonbonnes ; cinq ou six bidons d’essence de térébenthine furent versés dans les salles de stuc, où étaient enfermés les objets mobiliers appartenant à M. Thiers. Victor Bénot, comme un homme qui comprend la responsabilité du grand acte qu’il va commettre, allait d’un pavillon à l’autre, dans les galeries, jusque dans les chambres, gourmandant le zèle de ses complices, les encourageant à bien faire, louant Boudin de son activité, donnant l’exemple et payant de sa personne, lorsqu’il fallait enfoncer une porte d’un coup d’épaule. La nuit était venue, car les appartemens étaient nombreux aux Tuileries, et tous avaient dû