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tantôt sur une porte, tantôt sur une autre, quitte à les briser immédiatement pour les replacer tout de suite. — Cela n’avait été que fastidieux, et en réalité n’avait créé aucun danger immédiat pour les collections, ni pour les conservateurs qui, peu intimidés par l’intrusion d’une administration nouvelle, continuaient à venir au Louvre et veillaient sur les trésors dont ils avaient la garde. Ceux-ci avaient été mis autant que possible à l’abri : les objets les plus précieux avaient été murés ; dans quelques galeries, la galerie d’Apollon entre autres, on n’avait laissé en place que les vitrines ; ce qu’elles contenaient était caché, — disparu, — comme aurait dit Héreau.

Les avanies sérieuses ne commencèrent qu’après l’entrée des troupes dans Paris. Ce fut le bruit du tocsin et de la fusillade qui apprit aux habitans du Louvre que la France revenait dans sa capitale. À ce moment Jules Héreau fait du zèle ; il rédige benoîtement un procès-verbal constatant que lui et Dalou n’ont point quitté leur poste, tandis que le citoyen directeur Brives est absent. Les gardes nationaux chargés de garder les portes ont fait exactement comme l’ex-représentant Brives ; à trois heures et demie du matin, voyant la déroute du Trocadéro et de l’École militaire passer lestement dans la rue de Rivoli, ils se sont joints à elle et ont filé si vite qu’ils ont oublié leurs fusils, ce qui est peu de chose, mais leurs provisions de bouche, ce qui est grave et dénotait de sérieuses préoccupations. Un brigadier de surveillans profita rapidement de cette bonne occurrence et fit immédiatement fermer les quatre grilles qui donnent accès dans la cour François Ier La journée fut tranquille, mais la soirée réservait au personnel des musées une surprise à laquelle il ne s’attendait pas. Vers onze heures du soir, on vit arriver le docteur Pillot, délégué au Ier arrondissement, le sabre d’une main, le revolver de l’autre, marchant à la tête d’une escouade d’officiers fédérés parmi lesquels s’épatait la lourde encolure du colonel Victor Bénot. Pillot avait alors soixante-deux ans ; son crâne chauve, son apparence décrépite lui donnaient la physionomie d’un octogénaire. Docteur ? il le disait, mais il n’en faut rien croire ; ce lunatique n’avait pris ses grades qu’à l’université de Laputa. Il semble n’avoir jamais été qu’un assez mince escroc, politiqueur acrimonieux et fort maladroit, car en 1836 il est condamné à six mois de prison pour bris de scellés et port illicite du costume ecclésiastique ; en 1841 il est frappé d’une peine analogue pour affiliation à la société secrète des communautaires dont le but était le renversement radical du droit de propriété, ce que ces gens-là appellent : la table rase. Il ne put réussir à être représentant du peuple en 1848, et il devint alors médecin homéopathe, sans diplôme