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lestement derrière Bernardy de Sigoyer, qui ne se ménageait pas. Par le guichet des Lions, on se jeta dans le Carrousel ; si çà et là il restait encore quelques insurgés, on les fit promptement décamper à coups de fusil, car il est à remarquer, dans cette longue bataille qui dura sept jours, que, pas une fois, une troupe de fédérés, si nombreuse qu’elle fût, n’a pu tenir qu’à l’abri des barricades, et que toujours elle a pris la fuite dès qu’elle s’est rencontrée réellement face à face avec nos soldats. Le commandant de Sigoyer était devant le Louvre clos et encore intact ; il ne s’agissait plus maintenant de combattre des révoltés, il fallait combattre l’incendie, sans armes appropriées, et le vaincre ; ce n’était point tâche facile. On fouilla les caves, l’agence des travaux, les chantiers où des ouvriers avaient abandonné leurs outils ; tout ce qui put servir, haches, pioches, marteaux, fut saisi avec empressement, et la première compagnie, ayant en tête son capitaine, M. Lacombe, se jeta vaillamment au péril ; on s’élança dans les escaliers, on grimpa jusque sur les toits et entre la salle des états et le pavillon La Trémoille, on essaya de pratiquer une coupure. Le cœur ne manquait à personne, mais l’endroit n’était pas tenable ; l’intensité de la chaleur, sinon les flammes, repoussait les travailleurs. On peut se rendre compte de la fournaise contre laquelle on avait à lutter par ce fait que les énormes combles en fer de la nouvelle salle des états ont été tordus et qu’il n’est point resté vestige du chevronnage et du solivage qui étaient en chêne. Le sergent Alazet dirigeait la première escouade, il fut forcé de reculer jusqu’en avant du pavillon Lesdiguières ; si celui-ci avait pris feu, le musée des tableaux, envahi par la grande galerie, eût flambé comme paille. Pendant que la première compagnie s’efforçait d’isoler le Louvre, les cinq autres compagnies du bataillon, gardées par leurs vedettes, avaient déposé leurs fusils, et sous la direction de leurs officiers faisaient la chaîne depuis les prises d’eau jusque sur les toits, à l’aide de seaux, de cruches, de bouteilles même, de tout récipient que l’on avait pu se procurer. Le feu semblait reculer ; encore une heure peut-être, et l’on en serait maître. Le commandant de Sigoyer encourageait ses hommes, mettait la main à la besogne et disait : — Allons, mes enfans, nous sauvons le plus riche trésor d’art qui existe au monde ! — Il commençait à être satisfait de son œuvre et croyait bien avoir victoire gagnée, lorsqu’un officier d’état-major vint lui apporter l’ordre de rejoindre immédiatement la division. Il fut atterré ; obéir ? le Louvre peut être perdu. Pour la seconde fois depuis le matin, lui, le soldat soumis qui avait toujours donné le grand exemple de l’obéissance passive, il se résolut à demander un sursis et le droit d’achever le glorieux sauvetage qu’il avait entrepris.