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militaire, — c’est par eux qu’il échappe aux entreprises de la politique[1], aux séductions des partis, etc., — je n’hésite pas à déconseiller l’institution au milieu des troupes, hors les cas de mobilisation et de guerre, des aumôneries permanentes attitrées et d’un enseignement officiel religieux par des membres du clergé. La religion n’y gagnerait rien, et l’esprit militaire, presque inévitablement introduit par là dans la discussion, y perdrait. C’est d’ailleurs une illusion généreuse, mais révélant l’inexpérience, de croire que les soldats qui n’ont pas reçu dans la famille dès l’enfance la leçon des sentimens religieux s’en laisseront pénétrer dans le milieu régimentaire où ils sont absorbés par des travaux et livrés à des habitudes qui leur refusent la liberté de se recueillir et de penser. Mais enfin il y a des soldats qui sont restés fidèles aux principes de leur éducation et aux leçons du foyer. Ils ont d’imprescriptibles droits, quelle que soit leur croyance, à la libre disposition des moyens qui leur sont nécessaires pour en remplir les obligations. Les gouvernemens seraient coupables s’ils se montraient indifférens devant les troupes à ce haut intérêt. C’est la sauvegarde des principes qui sont le point de départ de la vraie discipline, et j’ai montré qu’ils donnent au soldat dont l’âme s’élève invinciblement vers Dieu dans les périls du champ de bataille et dans les angoisses de la mort la fermeté avec la pensée du devoir accompli, la résignation avec l’espérance.

Ces principes doivent trouver leur place dans ce livre des devoirs de la paix et de la guerre dont je demande au ministre compétent de faire la base de l’éducation de l’armée, et que le capitaine commandant la compagnie, l’escadron ou la batterie serait chargé d’interpréter devant sa troupe. Dans ce professorat militaire, où il réunirait à l’autorité du chef la sollicitude du père de famille, il ne laisserait jamais échapper l’occasion opportune de rappeler à ses soldats que c’est Dieu qui tient dans ses mains les destinées des peuples et des armées.

Je ne crois pas qu’il soit utile, ni qu’il soit prudent d’aller au-delà des dispositions générales qui viennent d’être indiquées. Elles ne satisferont, je le sais, ni ceux qui veulent introduire l’église dans le régiment, ni ceux qui veulent l’en exclure. Elles satisferont, je l’espère, les esprits tempérés qui jugent froidement, qui connaissent l’armée, qui savent à quel point il importe de concilier sur ce terrain, où se pressent tant de grands et délicats intérêts, des principes et des vues entre lesquels il faut craindre par-dessus tout de faire naître, en dépassant la mesure, l’antagonisme.

  1. L’ordre ou seulement l’autorisation (déguisant un ordre) aux troupes françaises d’acclamer les gouvernemens, les personnes, certains actes, etc., est une erreur pleine des plus graves, même des plus dangereuses conséquences.