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méthodiquement les règles du droit dans des codes. Une foule de questions nouvelles sont soulevées tous les jours par des besoins nouveaux, par les passions et les intérêts des plaideurs, par les subtilités des légistes. Le juge, qui ne doit jamais refuser de statuer sous prétexte du silence, de l’obscurité ou de l’insuffisance de la loi est appelé à trancher toutes ces questions, et la série des précédens judiciaires complète ainsi la loi en l’interprétant et en comblant les lacunes qu’on y a signalées.

Il y a quelques années, dans un congrès de l’association des sciences sociales fondée à Londres en 1857 par l’initiative de l’illustre lord Brougham, un jurisconsulte anglais, examinant s’il serait avantageux pour son pays d’entreprendre la codification des lois en suivant l’exemple de la France et de la plupart des autres nations de l’Europe, déclarait d’abord que, à son avis, ce serait une œuvre très difficile à exécuter avec le mécanisme du régime parlementaire ; mais il ajoutait que ce serait en outre une œuvre inutile si l’on devait se borner à rédiger des travaux aussi restreints que nos codes. Il y avait cherché vainement, disait-il, la solution de beaucoup de difficultés et ne l’avait rencontrée que dans les recueils d’arrêts. Pour rendre de véritables services, selon lui, un code du droit anglais devrait avoir au moins dix fois l’étendue des codes français. S’il en était autrement, les jurisconsultes et les plaideurs anglais préféreraient se passer de code.

Nous n’avons pas à discuter ici cette opinion, qui n’étonnera pas les personnes familières avec la rédaction très développée des lois anglaises. Nous n’avons pas à rechercher si, de l’autre côté de la Manche, les plaideurs seraient sur ce point d’accord avec les jurisconsultes, qui peuvent en effet souffrir moins que d’autres de l’obscurité de la législation et de la complication des procès. Nous ne la mentionnons que pour faire ressortir combien l’œuvre de la jurisprudence est considérable dans les matières civiles, commerciales et criminelles[1].

Mais cette œuvre est bien plus considérable encore dans les matières administratives pour lesquelles diverses raisons ont empêché et empêcheront peut-être encore longtemps une codification générale. Les lacunes, les antinomies de lois très nombreuses et très fréquemment modifiées, imposent une bien lourde tâche au juge, et particulièrement au conseil d’état, qui remplit à la fois le rôle de juge en premier et dernier ressort, de cour d’appel unique et de cour de cassation. Ce que nous avons à signaler ici, c’est que les bases mêmes de ces pouvoirs si étendus ont été posées par la jurisprudence

  1. Aussi bien le gouvernement anglais vient d’entrer dans une voie nouvelle en soumettant à la chambre des communes un projet de code pénal.