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Voilà ce qui se passait, il n’y a pas plus de vingt ans, sous le couvert de la loi. Ne comprend-on pas aisément les sentimens dont était animée la population de l’Irlande ? Épuisée par l’exode qui avait suivi la famine, divisée contre elle-même par des politiciens qui ne s’entendaient pas entre eux, rongée par le cancer des sociétés secrètes, elle n’avait encore obtenu que deux réformes utiles, l’admission des catholiques aux emplois publics, ce qui avait fait la fortune de quelques intrigans, et la liberté d’enseignement. Cette dernière mesure n’avait produit que peu d’effet. Les obstacles élevés jadis par la jalousie de l’église anglicane contre la religion du plus grand nombre avaient disparu au moment où, par malheur, le clergé obéissait à des tendances plutôt ultramontaines que nationales. Il n’y avait pas d’accord entre les hommes éclairés qui auraient pu diriger leur pays vers des destinées meilleures. La race celtique, dominante par le nombre, maintenue cependant dans une sorte d’esclavage, éprouvait pour ses maîtres saxons une haine extraordinaire. O’Connell n’était devenu populaire qu’en surexcitant ce sentiment traditionnel. Les adeptes du Ruban avaient accoutumé la nation à compter sur une organisation occulte comme défense contre les oppresseurs. C’est de ce milieu troublé que surgirent les conspirateurs fenians qui allaient ouvrir à la malheureuse Irlande une période nouvelle de misère et de démoralisation.


H. BLERZY.