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Gleyre ne s’abaissa jamais jusqu’à l’équivoque, même dans les sujets qui le comportaient le plus; j’en prends à témoignage nombre de ses toiles, et en particulier sa délicieuse Nymphe Écho. Que le sujet est délicat, et qu’il a été chastement traité! Dans l’enfoncement d’un ravin, à l’ombre d’un haut rocher qui la protège contre les regards, la nymphe s’est dépouillée de ses vêtemens pour se plonger dans le fleuve, révélant ainsi un corps aux contours adorables, formé à souhait pour l’amour. Rassurée par la solitude et l’ombre, Écho a rêvé et parlé tout haut, et voilà, ô surprise! qu’une voix lui a répondu et que son rêve fait chair lui apparaît dans le lointain sous la forme du jeune Narcisse, si bien fait pour la comprendre. Quoique ce corps, par la souplesse moelleuse de ses formes, soit l’incarnation même de la volupté, cela est d’une incontestable pureté, de ce même genre de pureté que nous admirons dans André Chénier dont les sujets sont cependant la sensualité même; mais ne devinez-vous pas ce que ce sujet serait aisément devenu si vous le supposez traité par certains de nos peintres du XVIIIe siècle ?

L’intention épigrammatique s’accuse avec une tout autre netteté dans l’Omphale dont nous avons déjà parlé et dans le Penthée poursuivi par les Ménades. Dans l’Omphale, l’artiste a voulu très expressément représenter l’abrutissement auquel un amour mal placé peut entraîner une virile nature, et il y a pleinement réussi. Nous ne reviendrons pas sur le caractère de discrète astuce de la reine de Lydie, mais nous devons faire remarquer l’ardeur stupide avec laquelle Hercule accomplit la ridicule besogne qu’il s’est laissé imposer. « Comme cet Hercule file avec conviction ! » dîmes-nous à l’artiste lorsque nous vîmes ce tableau pour la première fois, et notre observation reçut une réponse que nous ne répéterons pas, mais qui renfermait exactement le sens que nous attribuons à cette œuvre. De même que l’Omphale représente la perfidie des femmes sous sa forme la plus artificieuse, le Penthée représente leur esprit de haine et de vengeance sous sa forme la plus implacable. Avec quelle ardeur sauvage ces folles furieuses poursuivent le malheureux coupable d’avoir découvert les mystères orgiaques ! comme leurs yeux étincellent! comme leurs bouches hurlent de rage! comme leurs cymbales retentissantes rendent un son de glas funèbre pour Penthée, de tocsin de révolte pour les ménades attardées qu’elles appellent à la vengeance, et qu’on aperçoit courant dans le lointain ou se hâtant sur les hauteurs! Et l’indiscret, comme il fuit devant la mort certaine qui va l’atteindre ! C’est la vélocité du cerf forcé par les chiens et qui arrive à ne plus toucher terre. M. Clément a raison de dire que cette figure de Penthée est une des plus saisissantes expressions de la terreur qu’un artiste ait jamais