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par l’intensité de leur recueillement et le sérieux de leur attention. On remarquera le choix hardi de l’artiste, qui, entre tant de momens dramatiques du dernier repas de Jésus, s’est arrêté précisément au plus théologique, c’est-à-dire à celui qui semblait devoir présenter les plus insurmontables difficultés et inspirer la moindre sympathie à un homme d’aussi peu de foi. Les épisodes de saint Jean s’endormant sur la poitrine de Jésus, ou de Judas Iscariote se dénonçant lui-même en mettant la main au plat auraient certes paru mieux convenir par leur caractère plus humain à la nature de son talent et de ses opinions. Ces obstacles ont été si heureusement surmontés qu’on peut dire que l’art d’un Hippolyte Flandrin n’aurait pu produire rien de plus austère. L’artiste a fait plus et mieux encore ; en même temps qu’il conservait à cette scène son caractère théologique il lui restituait son caractère d’intimité familière. C’est l’institution du sacrement de l’Eucharistie, mais c’est aussi une scène de biographie sacrée, le dernier souper de Jésus. Pour produire cette impression à la fois solennelle et touchante il lui a suffi de disposer ses personnages autrement que ne l’avaient fait les artistes antérieurs. Vous vous rappelez par exemple cette longue table de la Cène de Léonard de Vinci où les personnages pressés les uns contre les autres semblent se multiplier, ici au contraire ce ne sont que quelques hommes que l’on peut aisément compter; l’effet inverse à celui de Léonard a été produit par la manière dont les convives ont été ingénieusement espacés. La Pentecôte est encore une œuvre d’une rare beauté pour laquelle je demanderais presque à M. Clément la permission d’être plus indulgent que lui. Il est impossible dès qu’on l’a vue d’oublier la figure de cette Vierge merveilleuse d’exaltation et d’emportement divin. Avec quelle autorité enthousiaste elle préside à cette scène de la diffusion de l’esprit saint sur les interprètes des paroles de son fils! Et cet enthousiasme n’est pas celui d’une prophétesse ou d’une sibylle qui est possédée et dominée par l’esprit, c’est celui d’une personne royale qui le possède et le domine. L’esprit saint rayonne de tout son être, et il semble vraiment que ce soit d’elle et non d’en haut qu’il se répande sur les personnages agenouillés dont les regards ardens d’une pieuse flamme disent assez avec quel mélange d’amour reconnaissant et de terreur sainte ils reçoivent la faveur de cette communion ignée. Tout cela, dis-je, est très religieux, et cependant pour celui qui sait observer avec finesse, il y a là quelque chose qui révèle le non croyant. Tout cela est trop lyrique, ces ardeurs sont trop intenses, ces exaltations trop sublimes, il est évident que l’artiste n’a pas abordé de plain-pied ses sujets et qu’il a cru devoir se hausser pour les atteindre. Ces œuvres ont été obtenues par effort; aussi Gleyre a-t-il évité de